Lettres - Tome I
de la table, et les mets que notre palais refuse n’ôtent rien de leur agrément à ceux qui lui plaisent.
N’allez pas croire par là que je prétende avoir atteint le but ; je veux seulement vous faire entendre que je me suis efforcé d’y atteindre, peut-être pas en vain, si vous vouliez bien donner vos soins d’abord à ce que je vous envoie, et ensuite à ce qui suivra. Vous direz qu’il ne vous est pas facile de vous acquitter bien de ce soin, sans connaître tout le plaidoyer, j’en conviens. Pour le moment vous vous familiariserez toujours avec les morceaux que je vous soumets, et vous y trouverez quelques endroits qui pourront souffrir des corrections partielles. Si l’on vous présentait la tête ou quelque membre détaché d’une statue, vous ne pourriez certes pas en saisir le rapport et la proportion avec l’ensemble, mais vous pourriez juger de la perfection de ces parties. Pour quelle autre raison colporte-t-on des feuilles d’exordes, sinon parce qu’on est persuadé qu’une partie peut avoir sa perfection, indépendamment du reste ? Je me suis laissé entraîner trop loin par le plaisir de causer avec vous. Je finis vite, pour ne pas excéder dans une lettre la mesure, que je conseille de garder même dans les discours. Adieu.
VI. – C. PLINE SALUE SON CHER AVITUS.
Le magnifique parcimonieux.
Il serait trop long de revenir sur le passé, et la chose n’en vaut pas la peine, pour vous dire comment, malgré mon peu de familiarité avec lui, je me suis trouvé à dîner chez un homme, selon lui, magnifique et économe, selon moi, avare et prodigue. À lui et à quelques privilégiés il faisait servir des mets excellents, aux autres des plats grossiers et réduits. Pour les vins aussi il les avait répartis en trois catégories dans de petites bouteilles, non pour laisser la liberté de choisir, mais afin d’ôter le droit de refuser ; la première était pour lui et pour nous, la seconde pour les amis de moindre importance (car il y a des degrés dans son amitié), la dernière pour ses affranchis et pour les nôtres. Mon voisin de table remarqua cette ordonnance du repas et me demanda si je l’approuvais. « Nullement, répondis-je. » – « Et vous, ajouta-t-il, quelle est donc votre habitude ? » – « Je fais servir tout le monde de même ; j’invite à un repas, non à une offense ; et je veux que tout aille de pair entre ceux que j’ai admis de pair à ma table et sur mon divan. » – « Même les affranchis ? » – « Oui ; ils ne sont plus alors à nos yeux des affranchis, mais des convives. » – « Cela vous coûte beaucoup, ajouta-t-il ? » – « Point du tout. » – « Est-il possible ? » – « Très possible, pour la bonne raison que mes affranchis ne boivent pas le même vin que moi, c’est moi qui bois le même vin que mes affranchis. » Eh ! parbleu, si vous modérez votre gourmandise, il ne vous en coûte jamais bien cher de partager avec plusieurs ce dont vous vous contentez vous-même. C’est notre propre sensualité qu’il faut réprimer, et pour ainsi dire, rappeler à l’ordre, si l’on veut ménager la dépense, qu’il est plus convenable d’épargner par sa propre tempérance que par l’humiliation d’autrui.
À quoi tend ce discours ? À ce que vous, qui êtes jeune et d’un excellent naturel, vous ne vous en laissiez pas imposer par le luxe de la table qu’étalent certaines personnes sous l’apparence de l’économie. L’affection que je vous porte me fait un devoir, chaque fois qu’une occasion semblable se présente, d’en profiter pour vous avertir par un exemple de ce que vous devez éviter. Souvenez-vous donc que l’on ne saurait trop fuir cet hypocrite mélange de prodigalité et d’avarice tout récent et que si ces deux vices pris isolément sont honteux, leur réunion en augmente encore la honte. Adieu.
VII. – C. PLINE SALUE SON CHER MACRINUS.
La statue élevée à Spurinna et à son fils Cottius.
Hier le sénat, sur la proposition de l’empereur, a décidé d’élever une statue triomphale à Vestricius Spurinna, non comme à tant d’autres, qui ne se sont jamais trouvés dans une bataille, qui n’ont jamais vu de camp, jamais entendu la trompette que dans les théâtres, mais comme à ceux qui ont acheté cet honneur au prix de leurs fatigues, de leur sang et de leurs exploits. En effet Spurinna, par la force des armes, a rétabli le roi des Bructères dans
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