Lettres - Tome I
D’ailleurs, que peut-on donner à l’homme de plus précieux que la renommée, la gloire, et l’immortalité ? Mais, dira-t-on, les poésies de Martial ne seront pas immortelles ; peut-être, mais il les a écrites dans la pensée qu’elles le seraient. Adieu.
LIVRE QUATRIÈME
I. – C. PLINE SALUE SON CHER GRAND-PÈRE PAR ALLIANCE FABATUS.
Le départ.
Vous désirez depuis longtemps nous revoir ensemble, votre petite-fille {74} et moi. Votre désir nous touche l’un et l’autre, et nous le partageons. Car nous sommes, nous aussi, dans la plus vive impatience de vous retrouver, et nous ne différerons pas davantage ce plaisir ; nous sommes déjà en train de boucler nos bagages, et nous hâterons notre marche autant que les chemins le permettront.
Nous ne nous attarderons qu’une fois, mais peu de temps ; nous ferons un détour par la Toscane, non pour visiter mes terres et mon domaine (cela peut passer après), mais pour accomplir un devoir urgent. Près de ma propriété est un bourg, appelé Tifernium Tiberinum ; j’étais presque encore un enfant, quand ses habitants me choisirent pour protecteur avec un empressement d’autant plus grand qu’il était moins raisonné.
Ils fêtent chaque fois mon arrivée, s’affligent de mes départs, se réjouissent de mes honneurs. Pour leur témoigner ma reconnaissance (car il est honteux de se laisser surpasser en affection), j’ai fait bâtir dans ce bourg un temple à mes frais. Comme il est achevé, je ne pourrais en différer la dédicace sans impiété. Nous y passerons donc le jour de la dédicace, que j’ai résolu de fêter par un festin. Peut-être resterons-nous encore le jour suivant, mais nous n’en ferons ensuite que plus de diligence.
Puissions-nous seulement vous trouver, vous et votre fille, en excellente santé, car, pour la joie, elle est assurée, si nous arrivons chez vous en parfait état. Adieu.
II. – C. PLINE SALUE SON CHER ATTIUS CLEMENS.
L’amour paternel dans un méchant homme.
Regulus a perdu son fils {75} ; c’est le seul malheur qu’il ne méritait pas, parce qu’il ne le regarde peut-être pas comme un malheur. C’était un enfant d’un esprit vif, mais équivoque ; il aurait pu cependant suivre la bonne voie, s’il n’eût ressemblé à son père. Regulus l’émancipa pour qu’il pût recueillir la succession de sa mère.
Après l’avoir ainsi acheté (c’est le mot que suggérait à chacun le caractère de l’homme), il le courtisait en vue de son héritage en affectant une indulgence aussi indigne que rare chez des parents. C’est incroyable, direz-vous ? Mais songez qu’il s’agit de Regulus. Cependant maintenant qu’il l’a perdu, il le pleure follement. L’enfant avait un grand nombre de poneys gaulois pour le char et la selle ; il avait des chiens grands et petits, il avait des rossignols, des perroquets et des merles ; Regulus a tout fait égorger sur le bûcher. Ce n’était pas douleur, mais étalage de la douleur. Une foule incroyable s’empresse autour de lui. Tous le maudissent, le détestent, et pourtant, comme s’ils l’estimaient, comme s’ils l’aimaient, ils accourent, se pressent ; pour dire en un mot toute ma pensée, afin de faire sa cour à Regulus, on imite Regulus. Il s’est retiré au delà du Tibre dans ses jardins, où il a pris un vaste espace pour ses immenses portiques, la rive pour ses statues, car il sait unir la magnificence à la lésine et la vanité à l’extrême infamie. Il dérange tout le monde dans la saison la plus malsaine, et déranger est pour lui une consolation. Il dit qu’il veut se remarier : nouvelle inconséquence à joindre à tant d’autres. Bientôt on apprendra les noces d’un homme en deuil, les noces d’un vieillard, quoique ce soit se marier et trop tôt et trop tard. D’où je tire cette prévision, demandez-vous ? Non de sa propre affirmation, car c’est le plus menteur des hommes, mais de cette certitude que Regulus fera tout ce qu’il ne devrait pas. Adieu.
III. – C. PLINE SALUE SON CHER ARRIUS ANTONINUS.
Beautés des poésies d’Antonin.
Que vous vous soyez montré dans un et même deux consulats digne des anciens, que vous ayez été en Asie un proconsul tel qu’il n’y en eut ou tel qu’il n’y en aura peut-être pas plus d’un ou deux (votre modestie m’interdit de dire aucun), que votre intégrité, votre autorité, votre âge même vous élève au premier rang de la
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