Lettres - Tome I
obtint du sort la Bithynie et en revint accusé ; il fut aussi violemment poursuivi que fidèlement défendu. Les juges varièrent d’avis, la majorité cependant adopta celui qui parut le plus doux. Contre lui parla Pomponius Rufus, avec sa facilité et sa véhémence ordinaires. Après Rufus, vint Theophanes, l’un des députés, le brandon et l’instigateur de l’accusation. Je répondis, car Bassus m’avait chargé de jeter les fondements de toute sa défense, d’exposer ses titres à la considération, qui provenant soit de sa haute naissance, soit de ses dangers mêmes, offraient une ample matière, de dévoiler la conspiration des délateurs, qui en faisaient leur gagne-pain, d’expliquer les motifs pour lesquels il s’était exposé à la haine des gens les plus factieux et en particulier de Theophanes lui-même. C’est à moi encore qu’il avait demandé de réfuter l’accusation la plus grave pour lui. Car pour les autres griefs, quoique plus sérieux en apparence, il méritait non seulement d’être acquitté, mais même félicité. La charge la plus forte contre lui, c’était qu’en toute simplicité et sans prendre garde, il avait accepté, à titre d’ami, quelques dons de certains habitants de sa province, car il avait déjà été questeur dans cette même province. Voilà ce que ses accusateurs appelaient des larcins et des rapines, et lui des présents.
Mais la loi interdit d’accepter même des présents. Que pouvais-je faire là ? Quel système de défense adopter ? Nier ? Je craignais de donner l’apparence d’un vol réel à un acte que je n’osais avouer ; de plus, contester un fait manifeste, c’était augmenter la faute, loin de l’amoindrir, surtout que l’accusé lui-même n’en avait pas laissé la liberté aux avocats. Il avait dit en effet à beaucoup de gens et même au prince qu’il avait reçu de menus présents seulement à son anniversaire et aux saturnales et que la plupart du temps il en avait renvoyé lui aussi. Devais-je demander l’indulgence ? C’était égorger mon client, en reconnaissant qu’il était coupable au point de ne pouvoir espérer de salut que de la clémence ; fallait-il soutenir que son action était innocente ? Sans lui être utile, je passais pour un homme impudent. Dans cet embarras, je me décidai à chercher un moyen terme, et je crois l’avoir trouvé.
La nuit, comme elle fait pour les combats, interrompit ma plaidoirie. J’avais parlé pendant trois heures et demie, il me restait une heure et demie, car la loi accordant six heures à l’accusateur, et neuf à l’accusé, celui-ci avait réparti le temps entre moi et l’avocat qui devait plaider après moi, de façon que je disposais de cinq heures, lui du reste. Pour moi le succès de ma plaidoirie me conseillait de me taire et de terminer. Il est téméraire en effet de ne pas savoir se contenter d’un heureux résultat. De plus je craignais que les forces ne me fissent défaut, si je renouvelais mon effort, car il est plus difficile de le reprendre que de le poursuivre. Je courais encore le risque de refroidir le reste de mon plaidoyer par une interruption, et de lasser par une reprise. Si en effet une torche continuellement agitée reste bien enflammée, mais une fois abandonnée, se rallume difficilement, ainsi la chaleur de l’orateur et l’attention des auditeurs se soutiennent par la continuité, tandis que la remise et la détente les énervent. Mais Bassus me priait et, presque les larmes aux yeux, me suppliait d’employer tout mon temps. Je cédai, faisant passer son intérêt avant le mien ; tout alla bien ; je trouvai l’attention des sénateurs si éveillée, si fraîche, qu’ils semblaient plutôt stimulés que lassés par une première plaidoirie.
Lucceius Albinus parla après moi, avec tant d’habileté, que nos discours offraient la variété de deux plaidoiries et l’enchaînement d’une seule. Herennius Pollion répondit avec force et vigueur, puis Theophanes revint à la charge. Il se conduisit cette fois encore, comme toujours, avec la dernière impudence, en osant, après deux avocats et consulaires et éloquents, réclamer son temps de parole et même en user largement. Il parla jusqu’à la nuit et même on dut apporter des lampes. Le lendemain Homullus et Fronton prononcèrent pour Bassus des plaidoiries admirables ; le quatrième jour fut occupé par l’examen des preuves.
Bebius Macer, consul désigné, déclara que
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