Lettres - Tome I
en tête d’avoir de lui des statues, des portraits, il occupe tous les ateliers de ce travail ; couleurs, cire, bronze, argent, or, ivoire, marbre, tout est mis en œuvre pour le représenter. Il se fait même auteur et récemment, devant un nombreux auditoire, il a lu une biographie de son fils, une biographie d’un enfant, mais il l’a lue quand même. Il l’a reproduite en mille exemplaires et l’a répandue dans toute l’Italie, dans toutes les provinces. Il a écrit officiellement aux décurions de choisir parmi eux celui qui a la voix la plus belle, pour la lire au peuple ; c’est fait.
Cette volonté, ou de quelque nom qu’on l’appelle, cette opiniâtreté à atteindre son but, que de bien elle eût pu accomplir, s’il l’avait tournée vers des fins meilleures. Malheureusement les bons ont toujours moins de volonté que les méchants, et comme l’ignorance rend hardi, et la réflexion timide {76} , ainsi pour les âmes honnêtes la circonspection est de la faiblesse et pour les cœurs pervers l’audace une force nouvelle. Témoin Regulus. Des poumons délicats, un air embarrassé, la voix hésitante, aucun à propos, nulle mémoire, rien enfin qu’un esprit mal équilibré, et cependant à force d’effronterie et grâce à cette extravagance même il est parvenu à passer aux yeux de bien des gens pour un orateur. Aussi Herennius Senecio lui applique-t-il avec une adresse infinie la fameuse définition que Caton a donnée de l’orateur, mais en la retournant : « l’orateur est un méchant homme qui ignore l’art de la parole. » Vraiment Caton lui-même n’a pas mieux défini le véritable orateur que Senecio n’a caractérisé Regulus.
Avez-vous de quoi payer cette lettre de retour ? Sans aucun doute, si vous m’écrivez que dans votre ville quelqu’un de mes amis, vous-même peut-être, a lu cette complainte de Regulus, à la manière d’un charlatan, sur la place publique, « en criant , selon l’expression de Démosthène, d’une voix aussi joyeuse que puissante ». Car elle est d’une telle ineptie, qu’elle doit plutôt exciter le rire que les larmes ; on la croirait composée non sur un enfant, mais par un enfant. Adieu.
VIII. – C. PLINE SALUE SON CHER MATURUS ARRIANUS.
Promotion de Pline à la dignité d’augure.
Vous me félicitez de mon élévation à l’augurat {77} , et vous me félicitez avec raison, d’abord parce qu’il est beau d’obtenir, même dans de petites choses, l’estime d’un prince si sage, ensuite parce que le sacerdoce lui-même est antique et auguste et qu’en outre entre tous il jouit d’un caractère sacré et privilégié, puisqu’il dure autant que la vie. D’autres dignités jouissent d’une considération à peu près égale ; mais comme on les accorde, on peut les retirer ; dans celle-ci au contraire, la fortune n’a qu’un pouvoir, celui de donner. Une circonstance encore me paraît mériter vos félicitations, c’est que je succède à Julius Frontinus, homme du premier rang, qui chaque année depuis longtemps, le jour de l’élection, m’a toujours présenté pour ce sacerdoce, paraissant ainsi me désigner comme son successeur. Aujourd’hui l’événement a si bien approuvé ce choix, qu’il semble ne rien devoir au hasard. Quant à vous, d’après votre lettre, ce qui vous cause le plus de plaisir dans mon augurat, c’est que M. Tullius Cicéron fut augure. Vous vous réjouissez de me voir suivre dans la carrière des honneurs les traces de celui que je rêve d’égaler dans les lettres. Mais fasse le ciel qu’après avoir obtenu, beaucoup plus jeune que lui, le même sacerdoce et le consulat, je puisse, au moins dans ma vieillesse, posséder un peu de son génie. Mais, prenons garde ! Les biens dont disposent les hommes me sont échus à moi et à bien d’autres, tandis qu’il est difficile d’atteindre et même présomptueux d’espérer ce que les Dieux seuls peuvent donner. Adieu.
IX. – C. PLINE SALUE SON CHER CORNELIUS URSUS.
Le procès de Junius Bassus.
Ces jours derniers a été jugé le procès de Julius Bassus {78} ; c’est un homme célèbre par ses épreuves et par ses malheurs. Il fut accusé sous Vespasien par deux particuliers ; renvoyé devant le sénat, son affaire y resta longtemps en suspens ; il a été enfin absous et pleinement mis hors de cause.
Il craignit Titus, à titre d’ami de Domitien, et Domitien le bannit ; rappelé par Nerva, il
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