Lettres - Tome I
{91} réunies, le souvenir me revint d’avoir plaidé déjà dans ma jeunesse devant les quatre sections. Mes réflexions, comme il arrive, m’emportèrent plus loin ; je me mis à penser aux collaborateurs qui, soit lors du récent procès, soit dans celui d’autrefois, m’avaient secondé dans ma tâche. Je restais le seul qui eût parlé dans les deux. Tels sont les changements où se plaisent soit la fragilité des mortels, soit l’instabilité de la fortune. Certains de ceux qui avaient plaidé jadis sont morts, d’autres exilés ; à l’un la vieillesse et la mauvaise santé ont conseillé le silence, l’autre a préféré jouir d’un bienheureux repos, celui-ci commande une armée, celui-là a été enlevé aux devoirs du barreau par l’amitié du prince ; et pour moi-même que de vicissitudes ! Les belles-lettres m’ont d’abord élevé, exposé ensuite au péril, et enfin relevé ; l’amitié des gens de bien m’a d’abord servi, puis m’a été nuisible, et de nouveau me sert ; si l’on compte les années, c’est un court espace de temps, si l’on compte les revirements du sort, on dirait une éternité. Cela nous enseigne à ne désespérer de rien, à ne compter sur rien, quand nous voyons tant de changements se succéder dans une révolution rapide. Or, j’ai l’habitude de vous faire part de toutes mes pensées, de vous adresser les mêmes leçons, de vous proposer les mêmes exemples qu’à moi-même ; c’est le seul but de cette lettre. Adieu.
XXV. – C. PLINE SALUE SON CHER MESIUS MAXIMUS.
L’impertinence anonyme.
Je vous ai dit dans une lettre {92} que le scrutin secret risquait d’amener quelque désordre. C’est fait : dans les derniers comices on a trouvé sur certaines tablettes de vote beaucoup de plaisanteries, même des grossièretés, et sur une, au lieu des noms des candidats, les noms de leurs protecteurs. Le Sénat a jeté feu et flamme et a appelé à grands cris la colère du prince sur l’auteur du vote. Lui cependant s’est dérobé et est resté inconnu, peut-être était-il parmi les plus indignés. De quoi peut-on croire capable dans la vie privée celui qui dans une affaire si importante, dans une occasion si sérieuse, se permet de telles bouffonneries, qui enfin en plein Sénat, fait le railleur, le bel esprit, le malin ? Tant les esprits dépravés puisent d’audace dans l’assurance du : « Qui le saura ? » On demande des tablettes, on prend un stylet, on baisse la tête, et, ne respectant personne, se méprisant soi-même, on en vient à ces moqueries dignes de la scène et des tréteaux. Que faire ? Quel remède trouver ? Partout les vices sont plus forts que les remèdes. Mais ce soin regarde quelqu’un de plus élevé que nous, à qui coûte chaque jour bien des veilles et bien de la peine cette licence stupide, mais effrénée, de notre temps {93} . Adieu.
XXVI. – C. PLINE SALUE SON CHER MECILIUS NEPOS.
La revue d’un des exemplaires des ouvrages de Pline.
Vous me demandez de m’occuper de la révision et de la correction de mes petits ouvrages, que vous avez mis tant d’empressement à acquérir ; je m’y mettrai ; de quel soin pourrais-je me charger plus volontiers, surtout pour répondre à votre désir ? Car, lorsque un homme si sérieux, si éclairé, si éloquent, et de plus si occupé que vous, partant pour le gouvernement d’une grande province, désire si vivement emporter avec lui mes ouvrages, ne dois-je pas consacrer tous mes soins à éviter que cette partie de ses bagages ne l’embarrasse comme un fardeau inutile ? Je vais donc m’appliquer, d’abord à ce que ces compagnons que vous emmenez vous soient aussi obligeants que possible, ensuite à ce que de retour vous en trouviez d’autres, que vous désiriez joindre aux premiers. Car ce n’est pas un médiocre encouragement à écrire de nouvelles œuvres, qu’un lecteur tel que vous. Adieu.
XXVII. – C. PLINE SALUE SON CHER POMPEIUS FALCO.
Les poésies de Sentius Augurinus.
Voilà trois jours que j’ai assisté à une lecture publique de Sentius Augurinus avec le plus vif plaisir et même avec la plus grande admiration. Il intitule ses vers petits poèmes. Il y en a beaucoup de simples, beaucoup de nobles, de gracieux, de tendres, d’aimables, beaucoup aussi de mordants. Depuis plusieurs années, rien, à mon goût, n’a été écrit de plus parfait en ce genre, à moins que je ne sois induit en erreur par
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