Lettres - Tome I
lieu de vous plaindre ? Et si elle vous avait fait son unique héritier jusqu’au dernier sou, mais avait en même temps grevé sa succession de tant de legs, qu’il ne vous en serait pas resté plus du quart ? Vous devriez donc vous tenir pour satisfait, si, déshérité par votre mère, vous receviez néanmoins de ses héritiers le quart de sa succession, auquel je veux encore ajouter du mien. Vous savez que vous ne m’avez pas assigné, que deux ans se sont déjà passés et que j’ai pris possession de tout mon lot par droit d’usucapion. Mais pour vous rendre plus conciliant avec mes cohéritiers, pour que votre considération pour moi ne vous nuise en rien, je vous offre une somme égale pour ma part. » J’ai gagné à cette action non seulement la satisfaction du devoir accompli, mais encore de l’honneur. C’est donc ce Curianus qui m’a laissé un legs, rendant ainsi à mon désintéressement, digne, si je ne me flatte trop, des anciens, un éclatant hommage {98} .
Je vous ai écrit tout cela, parce que j’ai coutume de m’entretenir avec vous comme avec moi-même de toutes mes joies et de toutes mes peines, ensuite parce que je trouve cruel, sachant votre grande affection pour moi, de vous frustrer d’un plaisir dont je jouis moi-même. Car ma sagesse ne va point jusqu’à ne compter pour rien, lorsque je crois avoir fait quelque bonne action, cette sorte de récompense qu’est l’approbation des gens de bien. Adieu.
II. – C. PLINE SALUE SON CHER CALPURNIUS FLACCUS.
Les grives.
J’ai reçu vos magnifiques grives, mais je ne peux vous rendre la pareille, n’ayant dans ma propriété des Laurentes ni les ressources de la ville, ni celles de la mer dans cette période de tempêtes. Ma lettre ne vous apportera donc rien que le simple aveu de mon ingratitude, ne sachant pas même imiter l’adresse de Diomède {99} à échanger des présents, mais je connais votre indulgence ; vous lui accorderez d’autant plus facilement son pardon, qu’elle avoue ne pas le mériter. Adieu.
III. – C. PLINE SALUE SON CHER TITIUS ARISTO.
Les poésies légères.
Vos services répétés me remplissent toujours de plaisir et de joie, mais je compte comme un des plus grands que vous ayez bien voulu ne pas me cacher la longue et abondante conversation qui s’est engagée chez vous sur mes petits vers, et qui s’est longtemps prolongée par suite de la diversité des jugements ; vous me dites que certaines personnes, sans trouver à redire à mes vers en eux-mêmes me blâment cependant, amicalement, et en toute franchise, d’en composer et de les lire en public. Je leur réponds, au risque d’aggraver ma faute, ceci : « J’écris parfois de petits vers peu sévères, j’en conviens ; mais j’écoute bien aussi des comédies, j’assiste à des mimes, je lis les lyriques et je goûte les vers sotadiques {100} ; enfin, il m’arrive de rire, de plaisanter, de badiner, et pour exprimer d’un mot tous les genres de distractions innocentes, je suis homme {101} ».
Je ne suis point fâché d’ailleurs que l’on ait de mon caractère une assez haute estime pour que ceux qui ignorent que les hommes les plus savants, les plus graves, les plus irréprochables ont composé de pareils vers, s’étonnent de m’en voir écrire. Quant à ceux qui savent de quels illustres maîtres je suis le disciple, j’espère obtenir d’eux aisément qu’ils me permettent d’être en faute, mais du moins avec ceux dont il est honorable d’imiter non seulement les occupations sérieuses, mais encore les délassements. Dois-je craindre (je ne nommerai aucun vivant, pour ne pas m’exposer au soupçon de flatterie) dois-je craindre qu’il soit peu digne de moi de faire ce qui a été digne de M. Tullius, de C. Calvus, d’Asinius Pollion, de M. Messala, de Q. Hortensius, de M. Brutus, de L. Sylla, de Q. Catulus, de Q. Scaevola, de Servius Sulpicius, de Varron, de Torquatus, ou plutôt des Torquatus, de C. Memmius, de Lentulus Getulicus, d’Anneus Sénèque, d’Ann. Lucain, et tout près de nous de Verginius Rufus ? et s’il ne suffit pas des exemples de simples particuliers, je citerai encore le divin César, le divin Auguste, le divin Nerva, Tibère César. Je passe en effet Néron, quoique je sache qu’un goût ne devient pas pervers, pour être quelquefois celui des méchants, tandis qu’il reste honorable quand il est généralement celui des gens de bien, parmi lesquels il faut
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