Lettres - Tome I
et trois fois.
Quelque souffle souterrain ouvre-t-il et ferme-t-il alternativement l’orifice et le canal de la source, selon qu’en s’y engouffrant il les bouche, ou qu’en refluant il les dégage ? Nous constatons le même fait dans de petites amphores ou autres vases de même genre, dont le goulot n’est pas large et ne donne pas tout de suite passage au liquide. Car ces vases aussi, même penchés et renversés, produisent des arrêts dus à la résistance de l’air et suspendent l’effusion du liquide comme par des sanglots répétés. Ou bien la loi qui régit l’océan, commanderait-elle aussi à cette source, et la cause qui produit les marées, obligerait-elle aussi ce mince filet d’eau à s’arrêter ou à couler alternativement ? Ou bien comme les fleuves qui se jettent dans la mer, sous l’effort des vents contraires et la résistance de la marée montante, sont refoulés, y a-t-il de même quelque force qui refoule l’écoulement de cette source ? Peut-être encore les canaux secrets ont-ils une capacité déterminée ; aussi pendant qu’ils recueillent la même quantité d’eau qu’ils viennent de répandre, le ruisseau est-il plus faible et plus lent, après qu’ils l’ont recueillie, plus rapide et plus abondant ? Ou enfin y-a-t-il je ne sais quelle écluse cachée et invisible, qui, une fois vide, réveille et fait jaillir la source, et, une fois pleine, en arrête et en interrompt l’épanchement ? C’est à vous de rechercher les causes (car vous le pouvez) de ce phénomène étrange ; pour moi, je serais bien content, si j’ai réussi à vous dépeindre exactement le phénomène. Adieu.
LIVRE CINQUIÈME
I. – C. PLINE SALUE SON CHER ANNIUS SEVERUS.
L’exhérédé reconnaissant.
Il m’est échu un legs modeste, mais qui m’est plus agréable qu’un très ample. Pourquoi plus agréable qu’un très ample ? Pomponia Galla ayant déshérité son fils Asudius Curianus m’avait institué son héritier, et donné pour cohéritiers Sertorius Severus, l’ancien préteur, ainsi que quelques autres chevaliers romains distingués. Curianus me pressait de lui faire don de ma part et d’établir ainsi en sa faveur un jugement préalable ; mais en même temps, il me promettait, par une convention secrète de me laisser intacte cette part. Je lui objectais que mon caractère répugnait à agir ouvertement d’une façon et en secret d’une autre, qu’en outre il n’était pas très correct de faire une donation à un homme riche et sans enfants, qu’en fin de compte il ne profiterait pas de cette donation, tandis qu’il profiterait d’un désistement, et que j’étais prêt à me désister, s’il était clair à mes yeux qu’il eût été déshérité injustement. « Je vous demande d’en être juge, me dit-il. » Après une courte hésitation : « Je le veux bien, dis-je, car je ne vois pas pourquoi j’aurais de moi moins bonne opinion que vous-même. Mais dès maintenant sachez bien que j’aurai le courage, si la loyauté l’exige, de prononcer en faveur de votre mère. » – « Comme vous voudrez, dit-il, car vous ne voudrez que ce qui sera juste. » Je m’adjoignis comme conseillers deux hommes qui jouissaient alors dans notre cité de la plus haute estime, Corellius et Frontinus. Assis entre eux deux je donnai audience à Curianus dans ma chambre. Il dit ce qui, à son avis, était en sa faveur. Je répliquai en peu de mots moi-même (car il n’y avait là personne pour défendre l’honneur de la défunte) ; puis je me retirai, et sur l’avis de mon conseil je dis : « Il semble Curianus, que votre mère a eu de justes motifs d’irritation contre vous. »
Peu après, il assigna les autres héritiers devant le tribunal des centumvirs, mais il ne me comprit pas dans l’assignation. Le jour du jugement approchait. Mes cohéritiers désiraient un arrangement et une transaction, non par manque de confiance dans leur cause, mais par crainte des circonstances d’alors. Ils redoutaient ce qu’ils avaient vu arriver à beaucoup d’autres, de sortir du tribunal des centumvirs, chargés d’une accusation capitale. Parmi eux en effet il y en avait plusieurs à qui on pouvait reprocher leur amitié avec Gratilla et Rusticus. Ils me prient d’entrer en pourparlers avec Curianus. Nous nous donnons rendez-vous dans le temple de la Concorde ; là je lui dis : « Si votre mère vous avait légué le quart de son héritage, auriez-vous
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