Lettres - Tome II
seulement après sa disparition, alors qu’ils ont été achevés de son vivant. Gardez entière votre réputation de fermeté. Elle le restera, s’il est prouvé à tous, bien disposés ou mal disposés, que vous n’avez pas attendu la mort d’un ennemi pour oser écrire, mais que cette mort a prévenu la publication de votre ouvrage toute prête. Vous éviterez en même temps ce reproche : « C’est une impiété que de faire injure aux morts. » Car ce que l’on a écrit sur un vivant, ce qu’on a lu en public sur un vivant, c’est encore, même quand cet homme est mort, le publier presque de son vivant, si on le publie aussitôt. Si donc vous avez quelque autre ouvrage sur le chantier, ajournez-le ; mettez la dernière main à celui-ci ; il me parut à moi, qui l’ai lu, achevé depuis longtemps. Mais aujourd’hui il doit vous paraître tel à vous aussi, car un retard n’est pas demandé par l’œuvre et vous est interdit par les circonstances. Adieu.
II – C. PLINE SALUE SON CHER SABINUS.
Les lettres courtes.
Vous me faites plaisir de me réclamer non seulement des lettres fréquentes, mais encore très longues. Je les ai ménagées jusqu’ici d’abord parce que je voulais respecter vos grandes occupations, ensuite parce que moi-même j’étais accaparé par une foule d’affaires le plus souvent futiles, mais qui dispersent l’attention et la fatiguent. En outre je n’ai pas non plus matière à écrire plus longuement. Je ne suis pas en effet dans la même situation que Cicéron, dont vous me proposez l’exemple ; il avait un génie d’une extrême fécondité et, égales à son génie, la variété et la grandeur des événements lui fournissaient une ample matière. Tandis que moi, dans quelles étroites limites je suis enfermé, vous le voyez clairement, sans que je vous le dise, à moins que je ne me décide à vous envoyer en fait de lettres des exercices d’école et qui sentent le rhéteur {63} . Mais rien ne me paraît plus déplacé, quand je me représente vos faits d’armes, vos étapes, vos cors et vos trompettes, quand je me représente les sueurs, la poussière, les soleils brûlants que vous endurez. Voilà, je pense, une excuse suffisante ; et pourtant je ne sais si je désire que vous l’admettiez. Car une tendre affection ne pardonne pas les courtes lettres à ses amis, même en sachant qu’ils y mettent tout le compte. Adieu.
III. – C. PLINE SALUE SON CHER PAULINUS.
L’amour de la gloire.
Chacun a son idéal de bonheur ; pour moi le plus heureux des hommes est celui qui s’enivre de la jouissance anticipée d’une bonne et durable renommée et qui, sûr de la postérité, vit entouré de sa gloire future. Et si cette récompense de l’immortalité ne brillait à mes yeux, ce qui me plairait serait l’indolence d’un profond repos. Car enfin tous les hommes doivent, à mon avis, songer à leur immortalité, soit à leur condition mortelle, et les premiers lutter, s’acharner, les seconds chercher le repos, la détente, et ne pas fatiguer une vie éphémère par des peines stériles, comme j’en vois beaucoup qui dépensent une misérable et fastidieuse apparence d’activité pour aboutir au mépris de soi-même. Je vous dis tout cela, que je me dis chaque jour à moi-même, afin que je cesse de me le dire, si ce n’est pas votre opinion ; vous ne serez pas d’une opinion contraire, vous qui sans cesse méditez quelque œuvre grande et immortelle. Adieu.
IV. – C. PLINE SALUE SON CHER MACRINUS.
Le long plaidoyer.
Je craindrais que vous ne trouviez trop long le plaidoyer que vous recevrez avec cette lettre, s’il n’était d’une composition telle qu’il semble commencer et finir plusieurs fois, car chaque grief forme comme une cause distincte. Vous pourrez donc, en quelqu’endroit que vous commenciez votre lecture, en quelqu’endroit que vous l’arrêtiez, la poursuivre comme si c’était un commencement ou comme si c’était une suite, et me juger très long dans l’ensemble et très bref dans chaque partie. Adieu.
V. – C. PLINE SALUE SON CHER TIRO.
La balance égale.
C’est fort bien de votre part (car je prends mes renseignements) et il faut continuer de faire estimer votre justice à vos administrés {64} à force de bienveillance. Elle consiste surtout à s’attacher tout ce qu’il y a d’honnêtes gens et à se faire aimer des humbles de telle façon qu’elle soit en même temps
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