Lettres - Tome II
chérie des grands. La plupart en effet, craignant le soupçon de partialité en faveur des puissants, encourent la réputation de maladresse et même de méchanceté. Vous vous êtes tenu bien éloigné de ce défaut, je le sais. Mais je ne puis m’empêcher de donner à mes éloges l’apparence d’avertissements, pour la mesure que vous savez mettre à conserver les différences de rangs et de situations. Car les confondre, les bouleverser, les mêler, c’est chercher une égalité qui devient une suprême inégalité. Adieu.
VI. – C. PLINE SALUE SON CHER CALVISIUS.
Les amusements frivoles.
J’ai passé tous ces derniers temps entre mes tablettes et mes livres dans la plus douce tranquillité. « Comment, dites-vous, est-ce possible à Rome ? » On donnait les jeux du cirque, et ce genre de spectacle ne m’intéresse nullement. Je n’y vois rien de nouveau, rien de varié, rien qu’il ne suffise d’avoir vu une fois. Je trouve d’autant plus étrange ce désir si puéril que tant de milliers d’hommes {65} éprouvent de revoir de temps en temps des chevaux qui courent et des cochers assis sur des chars. Si encore on était attiré par la rapidité des chevaux ou l’adresse des cochers, il y aurait un semblant de motif à cette passion ; mais c’est la casaque qu’on acclame, la casaque qu’on aime, et, si en pleine course et au milieu même de la lutte une couleur prenait la place d’une autre et réciproquement, les vœux et les acclamations changeraient de camp, et tout à coup on délaisserait les conducteurs fameux, les fameux chevaux, qu’on reconnaît de loin, dont on ne cesse de crier les noms. Telle est la faveur, telle est la considération qu’obtient une vile tunique, je ne dis pas chez la populace, plus vile encore que la tunique, mais chez quelques hommes sérieux. Quand je songe que c’est un spectacle si futile, si niais, si uniforme, dont la soif insatiable les tient sur leurs sièges, je goûte un certain plaisir à ne pas goûter ce plaisir. Et c’est avec bonheur que je consacre mes loisirs aux lettres pendant ces jours, que d’autres perdent dans les plus frivoles occupations. Adieu.
VII. – C. PLINE SALUE SON CHER ROMANUS.
Les deux villas.
Vous m’écrivez que vous bâtissez ; tant mieux ; voilà pour ma défense ; car je bâtis aussi, et désormais avec raison, puisque je suis en votre compagnie, car nous ne nous séparons pas même en ceci que vous, c’est au bord de la mer et moi, au bord du lac Larius {66} . J’ai sur les rives de ce lac plusieurs villas, mais deux surtout font à la fois mes délices et mon tourment. L’une, perchée sur des rochers à la manière de Baïes, a vue sur le lac ; l’autre, à la manière de Baïes encore, borde le lac. Aussi ai-je l’habitude d’appeler la première « Tragédie », la seconde « comédie » ; car elles semblent porter l’une le cothurne, l’autre le brodequin. Chacune a ses agréments, et leur diversité même ajoute au charme de chacune d’elles pour leur possesseur. L’une jouit du lac de plus près, l’autre sur une plus large étendue ; celle-ci embrasse une seule baie par une courbe gracieuse ; celle-là en sépare deux de son haut promontoire ; ici, la promenade pour les litières s’étend en ligne droite par une longue allée qui borde le rivage ; là elle suit les douces sinuosités d’une large terrasse. L’une est hors de l’atteinte des flots, l’autre les brise ; de l’une on peut voir les pêcheurs en bas ; de l’autre on peut pêcher soi-même et jeter l’hameçon de sa chambre, presque de son lit de repos, comme d’une barque. Voilà mes raisons d’ajouter à chacune les avantages qui lui manquent en considération de ceux dont elle surabonde. Mais pourquoi vous donner mes motifs à vous, pour qui le meilleur motif sera que vous en faites autant ? Adieu.
VIII. – C. PLINE SALUE SON CHER AUGURINUS.
L’échange d’éloges.
Si à vos éloges je réponds en entreprenant le vôtre, je crains qu’on ne regarde mes louanges moins comme l’expression de mon jugement que comme le témoignage de ma reconnaissance. Mais, dût-on le croire, je trouve tous vos écrits excellents, surtout pourtant ceux qui parlent de moi. La raison en est simple et unique. C’est que vous, quand vous écrivez sur vos amis, vous écrivez admirablement, et que moi, quand je lis ce que vous me consacrez, je le juge admirable. Adieu.
IX. – C. PLINE
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