Lettres - Tome II
le cachent tantôt ici, tantôt là, et c’est seulement lorsqu’elles en occupent le milieu, qu’elles n’en diminuent pas l’étendue. Il est certain que des troupeaux cherchant l’herbe s’avancent souvent sur ces îles comme sur une extrémité de la rive et ne se rendent compte de la mobilité du sol, qu’au moment où ils se voient avec effroi emporter loin du bord, comme au large et sur un navire, au milieu du lac qui les environne de tous côtés ; puis ils quittent ces îles là où il plaît au vent de les porter, et ils ne s’aperçoivent pas plus de leur débarquement que de leur embarquement. De plus le lac se déverse par un torrent, qui, après s’être offert quelque temps à la vue, s’enfonce dans une grotte et coule caché dans les profondeurs du sol ; si, avant qu’il disparaisse, on y jette quelque objet, il le conserve et le rend à sa sortie. Je vous envoie ces détails, parce que je crois qu’ils vous sont tout aussi inconnus et qu’ils vous plairont tout autant qu’à moi. Car vous comme moi vous n’aimez rien tant que les œuvres de la nature {58} . Adieu.
XXI. – C. PLINE SALUE SON CHER ARRIANUS.
La pièce nouvelle.
Dans les lettres comme dans la vie, rien n’est meilleur, à mon avis, ni plus conforme à la nature humaine que d’alterner la gravité et l’enjouement, afin que l’une ne dégénère pas en morosité et l’autre en légèreté. Suivant ce principe j’entremêle les ouvrages sérieux avec les amusements et les badinages. Pour mettre au jour ces bagatelles, j’ai choisi le moment et le lieu les plus favorables, et pour les accoutumer dès maintenant à être entendues par des gens oisifs et dans une salle à manger, j’ai pris le mois de juillet, où les tribunaux chôment surtout, et, disposant des sièges devant les lits des convives, j’y ai placé des amis. Le hasard fit que juste ce jour-là on vint dans la matinée me demander à l’improviste de plaider, circonstance qui me fournit le thème de mon préambule. Je suppliai en effet que personne ne m’accusât d’avoir peu d’égards pour mon ouvrage, si, devant en donner lecture, à des amis seulement, il est vrai, et en petit nombre, je ne m’étais pas cependant abstenu du forum et des affaires, où des amis encore m’attendaient. J’ajoutai que même dans mes travaux littéraires j’avais pour règle de faire passer le devoir avant le plaisir, l’utile avant l’agréable, et de travailler d’abord pour mes amis, et pour moi après.
Mon livre était composé de petites pièces variées de sujets et de mètres. C’est par ce moyen que, n’ayant guère confiance en mon talent, je tâche d’éviter l’écueil et l’ennui. J’ai lu pendant deux jours, l’empressement des auditeurs l’a exigé. Et pourtant, alors que d’autres passent certains endroits et pensent qu’on doit leur en savoir gré, moi je ne retranche rien et même je déclare que je ne fais grâce de rien. Je lis tout, pour tout corriger, ce que ne peuvent faire ceux qui choisissent. Ils montrent, dira-t-on, plus de modestie et peut-être plus de respect pour leurs auditeurs ; mais moi, plus de simplicité et d’amitié ; car c’est aimer vraiment que de se croire assez aimé, pour ne pas craindre d’ennuyer. Et d’ailleurs quel service rendent des confrères qui ne s’assemblent que pour leur plaisir ? C’est faire le difficile et agir presque en indifférent que d’aimer mieux entendre un bon ouvrage d’un ami, que de contribuer à le rendre tel. Je ne doute pas que vous ne désiriez, avec votre amitié ordinaire, lire le plus tôt possible ce livre à peine sorti du pressoir. Vous le lirez, mais retouché, puisque ce fut le but de ma lecture. Pourtant vous en connaissez déjà quelques parties. Ces passages, améliorés ensuite, ou, comme il arrive souvent quand on met trop de temps à un ouvrage, gâtés, vous paraîtront nouveaux et refaits. Car lorsque presque tout est changé, il semble que l’on ait changé même ce qui a été conservé. Adieu.
XXII. – C. PLINE SALUE SON CHER GEMINUS.
L’indulgence pour les défauts.
Ne connaissez-vous pas de ces gens qui, esclaves de toutes les passions, s’indignent contre les vices des autres, comme s’ils en étaient jaloux, et demandent les punitions les plus sévères contre ceux qu’ils imitent le plus ? Et pourtant même à ceux qui n’ont besoin de l’indulgence de personne rien ne sied mieux que la bonté. Je pense
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