Lettres - Tome II
Songez que l’on vous envoie dans la province d’Achaïe, c’est-à-dire au cœur même de la véritable Grèce, où naquirent, selon la croyance commune, la civilisation, les lettres, et même l’art de cultiver la terre ; que l’on vous envoie pour ordonner le gouvernement de cités libres, c’est-à-dire vers des hommes vraiment hommes, vers des hommes libres par excellence, qui ont conservé ce droit donné par la nature grâce à leur courage, à leur mérite, à leurs alliances, aux traités, grâce enfin au respect de la religion. Respectez les dieux fondateurs des cités et leurs noms {61} , respectez cette ancienne gloire et cette vieillesse même, qui, vénérable chez l’homme, est sacrée dans les villes. Rendez honneur à l’antiquité, honneur aux grandes actions, honneur même aux légendes. N’attentez en rien à la dignité de personne, en rien à la liberté, en rien même à la vanité. Ayez devant les yeux que cette terre est celle qui nous a transmis notre droit, qui nous a donné nos lois, non à titre de vaincus, mais sur notre demande ; que c’est dans Athènes que vous allez entrer, à Lacédémone que vous allez commander ; leur ravir l’ombre et le nom de la liberté, qui leur reste seul, serait cruel, inhumain, barbare. Voyez les médecins ; quoique dans la maladie il n’y ait point de différence entre les esclaves et les hommes libres, ils traitent cependant avec plus de douceur et plus de ménagements les hommes libres. Rappelez-vous la gloire passée de chaque peuple, mais non pour le mépriser de l’avoir perdue. Gardez-vous de la fierté, comme de la rudesse, et ne craignez pas le dédain de votre autorité ; dédaigne-t-on celui à qui appartiennent le pouvoir suprême, les faisceaux, à moins qu’il ne le mérite par sa bassesse, son incorrection et son propre dédain de lui-même ? C’est un mauvais moyen pour le pouvoir d’éprouver sa puissance en insultant aux autres, un mauvais moyen de chercher le respect par la terreur, et l’on obtient ce que l’on veut bien plus sûrement par l’affection que par la crainte. Car la crainte s’évanouit, aussitôt qu’on s’éloigne ; l’affection reste, et tandis que celle-là se tourne en haine, celle-ci se change en respect.
Pour vous, vous devez sans cesse, je ne crains pas de le répéter, vous rappeler le titre de votre charge et vous faire une idée exacte de l’importance et de la grandeur d’une mission qui consiste à ordonner le gouvernement de cités libres. Y a-t-il rien de plus nécessaire aux cités que l’ordre, rien de plus précieux que la liberté ? Quelle honte donc, si l’ordre donne naissance au bouleversement et la liberté à la servitude !
Il faut ajouter que vous avez à rivaliser avec vous-même ; vous portez le poids de l’excellente réputation que vous avez rapportée de Bithynie à travers les mers, le poids du témoignage que vous a donné le prince, le poids de votre tribunat, de votre préture, et même de votre légation présente, véritable récompense accordée à vos services. Raison de plus pour vous appliquer à ne pas laisser croire que vous avez été plus humain, plus patient, plus habile dans une province éloignée que dans un faubourg de Rome, parmi des populations esclaves que chez des peuples libres, désigné par le sort que choisi par le prince, inexpérimenté et inconnu qu’éprouvé et admiré ; n’y a-t-il pas d’ailleurs, comme vous l’avez souvent entendu dire, souvent lu, beaucoup plus de déshonneur à perdre la réputation qu’à n’en point acquérir ?
Veuillez prendre tous ces conseils, comme je vous l’ai dit au début, pour un rappel, non pour des leçons ; quoiqu’il y ait leçon aussi. Car je ne crains pas en affection de dépasser la mesure ; aucun risque en effet d’excès dans ce qui doit être porté au plus haut degré. Adieu.
LIVRE NEUVIÈME
I. – C. PLINE SALUE SON CHER MAXIMUS {62} .
La publication opportune.
Je vous ai souvent averti de publier le plus tôt possible les opuscules que vous avez écrits, soit pour votre défense, soit contre Planta, ou plutôt à la fois pour votre défense et contre Planta, car le sujet le voulait ainsi ; mais aujourd’hui que l’on a appris sa mort, c’est avec plus d’instance que je vous y engage et vous le recommande. Car, quoique vous les ayez lus et donnés à lire à beaucoup de gens, je ne voudrais pas que personne pût croire que vous les avez commencés
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