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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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le jour du Sabbat ; quant aux saducéens, conservateurs et grands prêtres du Temple, non seulement ils ne toléraient pas l’audace de ce rabbin qui préférait penser avec bon sens plutôt que répéter absurdement toujours les mêmes textes sacrés, mais ils craignirent pour leur pouvoir et obtinrent, ces jours-ci, de moi-même, la mort du magicien.
    « Quelle importance ? me diras-tu. Tes ennemis te débarrassent d’un ennemi potentiel ! Tu devrais t’en réjouir… »
    Certes.
    « Et puis, il est mort, ajouteras-tu. Tu n’as plus rien à craindre ! »
    Évidemment.
    J’ai cependant le sentiment que quelque chose est allé trop vite dans cette affaire. Je n’ai pas rendu ma justice, la justice de Rome, j’ai exécuté la leur, celle de mes opposants, la justice des saducéens approuvée par les pharisiens, j’ai débarrassé ces Juifs d’un Juif qui les contredisait. Était-ce mon rôle ?
    Pendant le procès, Claudia Procula, mon épouse, ne s’est pas gênée pour me le reprocher.
    Son long et grave visage, sans trace de haine ni de passion, m’a regardé longuement.
    — Tu ne peux pas faire ça.
    — Claudia, ce magicien m’a été livré par les prêtres du sanhédrin. En tant que préfet, je dois accéder aux demandes des prêtres si je veux avoir la paix avec le Temple. Comment peux-tu croire encore qu’un gouvernant gouverne ? Un chef doit faire croire qu’il commande mais ses décisions sont dictées par les équilibres des partis et des circonstances.
    — Tu ne peux pas me faire ça.
    J’ai baissé les yeux. Je n’osais plus soutenir le regard de cette femme que j’adore et à qui je dois ma carrière. Non seulement – et tu le sais très bien – Claudia a voulu épouser le lourdaud que j’étais contre l’avis de tous les siens mais encore elle a obtenu de cette même famille que je sois nommé à un poste important, préfet de Judée, charge que je n’aurais jamais obtenue sans sa protection, son charisme et ses appuis. Claudia Procula m’aime et me respecte mais, comme toute femme noble de Rome, elle est habituée à donner son avis et à intervenir dans les discussions d’hommes. Je ne le supporterais d’aucune autre femelle et j’ai parfois du mal à contenir une violence de mâle qui me porterait à la faire taire. Pour que mon prestige n’en souffre pas auprès de mes hommes, j’ai pu obtenir que nos débats n’aient pas lieu en public. Mais elle profite du huis clos pour rendre ces échanges encore plus intenses.
    — Tu ne peux pas me faire ça. Sans Yéchoua, je ne serais plus de ce monde.
    Elle faisait allusion à la maladie qui l’avait tenue alitée pendant des mois. Elle perdait lentement son sang. J’avais convoqué tous les médecins de Palestine, des Romains, des Grecs, des Égyptiens et même des Juifs : en vain ! Aucun n’arrivait à enrayer l’hémorragie qui, d’ordinaire, dure quatre jours par mois chez les femmes, mais qui, chez Claudia Procula ne cessait plus.
    Son visage avait perdu sa vie, sa coloration, la pâleur de ses lèvres m’effrayait. Le moindre mouvement faisait battre son cœur de façon affolée et je voyais s’approcher le jour où Claudia cesserait de respirer.
    Une servante lui ayant parlé du magicien de Nazareth, Claudia me demanda la permission de le faire venir. J’acceptai sans aucun espoir et n’assistai même pas à l’entrevue.
    L’homme passa un après-midi auprès d’elle. Le soir même, le sang avait cessé de s’échapper du corps de Claudia.
    Je n’arrivais pas à le croire ! J’hésitais encore à me livrer au violent bonheur de la voir guérie.
    — Que t’a-t-il fait ?
    — Nous avons parlé, rien d’autre.
    — Il ne t’a pas touchée, auscultée, palpée ? Il n’a pas appliqué de pommade, d’onguent ?
    — Nous n’avons qu’échanger. Et nous nous sommes dit tant de choses…
    Elle n’avait pas encore assez de forces pour me répondre mais elle me souriait.
    Au matin, elle paraissait plus fraîche, plus vive, comme si elle avait profité de la rosée. Elle se tourna vers moi et me dit simplement :
    — Grâce à lui, j’ai accepté que nous n’ayons pas pu avoir d’enfants.
    Tu sais comment sont les aristocrates romaines, mon cher Titus : elles te sortent une phrase sibylline avec un regard appuyé et tu dois faire semblant, sauf à passer pour un balourd, d’avoir compris. J’ai donc pris un air entendu, tempéré d’un peu d’émerveillement, et nous n’en

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