L'Evangile selon Pilate
ménage une grotte. Puis on ferme la caverne par une énorme pierre ronde qui tient lieu de porte.
La meule avait été tirée sur le côté, bloquée par une cheville, laissant l’entrée béante.
— Pourquoi l’a-t-on rouvert ?
— Ce matin, les femmes voulaient y déposer des aromates, de la myrrhe et de l’aloès comme présents au mort.
— Qui a roulé la pierre ?
— Les femmes, aidées des gardes et, comme ils n’y arrivaient pas à cause du poids de la pierre, je me suis joint à eux lors de ma ronde, répondit le centurion. C’est ainsi que nous avons découvert que le tombeau était vide.
Je regardai la bouche d’ombre.
Je ne parvenais pas à croire à cette histoire de corps disparu. S’il fallait tant de forces réunies pour déplacer cette porte, comment le magicien, tout seul aurait-il pu, pendant la nuit… ? Non, c’était absurde.
Sans attendre, j’entrai dans la tombe. Mon geste s’était accompli presque sans moi. J’en fus étonné. Pourquoi pénétrer chez les morts ?
Après un court vestibule, la grotte conduisait à une chambre où trois couches avaient été creusées à même le roc. Elles étaient toutes vides. Sur l’une seulement, il y avait les traces du magicien : des bandelettes, des onguents et surtout le suaire, un drap d’une très belle qualité, sali çà et là par les traces brunâtres des blessures. Il était soigneusement plié et posé au bord de la couche.
C’était absurde. Autant que la disparition du cadavre, cette étoffe rangée avec méticulosité défiait tout bon sens. Qui l’avait ôtée des chairs où les croûtes de sang la tenaient collée ? Puis qui avait pris la peine inutile d’en faire un paquet géométrique ? Qui pouvait manifester cette maniaquerie hors de propos ? Le magicien était-il si soigneux que, par réflexe, revenant à lui, il…
Je tenais l’objet et le triturais avec mes doigts, comme si je pouvais en faire surgir la solution. Mon songe était confus. Une torpeur m’envahissait. Je m’assis sur la couche pour m’imaginer là, mort, cloîtré pour des heures interminables, sans autre lumière qu’un ongle de soleil au coin où les pierres joignaient mal, dans cet univers sans bruits ni plantes. Je m’imaginais être Yéchoua, le long Yéchoua au corps mince, reposant ici après les souffrances de la croix.
Une sorte de plomb fondu se glissait dans mes poumons. Un poids, sur ma poitrine et mes épaules, était en train de me tasser, de m’aplatir. J’avais envie de m’étendre. Je ne me sentais plus de forces. Un engourdissement, entre le plaisir et le malaise, m’ôtait les jambes et la volonté.
Soudain, je compris ce qui se passait en apercevant dans un angle un énorme tas d’aromates, un mélange de myrrhe et d’aloès, que l’on avait déposé là pour purifier l’air mais qui était en train de m’étourdir…
M’arrachant de la tombe, je sortis comme une flèche. La lumière crue du soleil me donna une gifle bienfaisante.
Je regardai le verger, les cerisiers poudrés de fleurs, les feuilles vertes et acides du printemps, ce monde gorgé d’odeurs, de couleurs et de chants d’oiseaux où l’on pouvait même douter que la mort existât.
Retournant à mon cheval avant de partir, j’observai une dernière fois les gardes qui fixaient bêtement leurs pieds.
Mon diagnostic se forma en un instant : à leurs pupilles dilatées, je compris qu’ils avaient été drogués. J’avisai les deux gourdes de peau qui se trouvaient non loin sur l’herbe. Vides ! À renifler les goulots, il était difficile de repérer un somnifère sous le fumet âpre et râpeux des mauvais vins de Palestine. Néanmoins, je savais à quoi m’en tenir : on avait assoupi les gardes. Ainsi n’avaient-ils pu ni voir ni entendre la troupe des voleurs rouler la pierre, emporter le cadavre et refermer le tombeau. Une mise en scène parfaite : le public, même peu naïf, devait forcément prêter des pouvoirs surnaturels au magicien.
Je retournai au fort et pris les décisions qui s’imposaient : il fallait mettre la main sur les voleurs et retrouver le corps de Yéchoua.
Mes secrétaires s’en étonnèrent.
— Nous n’avons pas, ô préfet, à nous occuper d’une profanation de sépulture juive. L’affaire relève davantage du grand prêtre. Elle n’appartient pas à notre juridiction.
— Je dois assurer la sécurité.
— La sécurité des vivants, ô Pilate, pas la sécurité des
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