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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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avons plus parlé.
    — Yéchoua m’a sauvée. Sauve-le à ton tour.
    Elle faisait appel à un code d’honneur qui n’avait rien à voir avec mon office de préfet.
    — Je vais le faire fouetter en public. D’ordinaire, une bonne giclée de sang suffit à satisfaire la soif d’une foule. Ainsi, on en restera là.
    Claudia approuva. Nous pensions tous deux que le magicien s’en sortirait.
    Mais la scène de flagellation ne produisit pas du tout l’effet escompté. Mes soldats amenèrent l’homme sur le parvis du fort Antonia et firent siffler leurs verges sur sa peau. Le condamné, bizarrement, ne criait pas, ne protestait pas, n’accusait même pas les coups par un râle ; il semblait ailleurs. Détachée, son attitude ne ressemblait ni à celle des coupables, ni à celle des innocents : il subissait un supplice qui ne lui plaisait pas mais qu’il acceptait. La peau s’ouvrait et le sang coulait sans qu’une plainte s’échappât. Yéchoua narguait ses juges et ses bourreaux, faisant passer toute justice pour une parodie, et le châtiment pour une contrefaçon. La foule était déçue. Elle s’excitait maintenant contre lui. Elle trouvait l’acteur nul. Elle voulait du spectacle, elle souhaitait une belle fin, elle réclama la mort.
    Je rejoignis Claudia dans l’ombre du fort pour l’informer que notre manœuvre avait échoué. Mais elle avait suivi la scène et se blottit dans mes bras en sanglotant.
    — Fais quelque chose. Je t’en supplie, fais quelque chose.
    Si au moins ce Yéchoua avait pu verser un quart des larmes de Claudia, il aurait, je n’en doute pas, incité la foule à la clémence. Pour ma femme, davantage que pour ce magicien, je devais trouver une issue.
    — La coutume ! La coutume de la Pâque !
    Claudia comprit immédiatement et me gratifia d’un de ses regards admiratifs qui, même à quatre-vingts ans sans doute, me feront encore penser que je suis jeune et beau.
    J’ordonnai à mes hommes de remonter des geôles un brigand fameux ici, qui avait volé tout le monde et violé beaucoup de filles. La brute passait au cachot sa dernière journée car, dans l’après-midi, on devait le crucifier en compagnie de deux autres larrons de moindre envergure.
    J’interpellai la population et lui rappelai la coutume voulant que, pendant les fêtes de la Pâque, le préfet de Rome relaxât un prisonnier. Je lui proposai donc de choisir entre Barabbas et Yéchoua. Je ne doutais pas une seconde de sa réponse, Yéchoua étant populaire et inoffensif, Barabbas dangereux et craint.
    Les gens se taisaient, surpris. Ils regardaient Yéchoua, écroulé, tête basse, en sang, puis Barabbas, bien planté de manière arrogante sur ses jambes fortes, tout en muscles et peau brune, qui les défiait crânement.
    Ils commencèrent à chuchoter, ils se consultaient. Quelques hommes passaient de groupe en groupe : j’imaginai qu’il s’agissait des disciples du magicien qui tentaient d’influencer le verdict. En levant les yeux vers le fort, j’aperçus les yeux perçants de Claudia dans une fenêtre. Nous nous sommes souri.
    La voix populaire rendit sa sentence. Elle enfla comme une rumeur, d’abord murmurée, puis prononcée, puis clamée, puis scandée, puis hurlée : « Barabbas ! »
    Je ne comprenais pas. La foule réclamait la libération du voleur, du violeur, de l’assassin. Alors que Yéchoua n’avait rien commis, sinon des insolences religieuses, qui méritât qu’on le condamnât, Barabbas, ce fils de pute, cette masse de chair cruelle, sanguinaire, égoïste, Barabbas dont forcément chaque famille dans cette foule avait à se plaindre, Barabbas trouvait grâce à leurs yeux !
    J’étais révolté, déçu, écœuré, mais je devais obéir.
    Engagé vis-à-vis d’eux, je n’avais plus les mains libres. Je décidai de me les laver devant eux.
    J’accomplis le geste rituel qui signifie cela ne me regarde plus. Sur mon estrade, au-dessus des têtes vociférantes, je fis couler l’eau molle et lisse sur mes poignets, retrouvant mon calme à frotter ainsi mes paumes, lorsque j’aperçus, dans le liquide clapotant de la bassine en cuivre, se décomposer un fragment d’arc-en-ciel.
    Au fond de moi, je songeais : je ne suis pas la justice sur la terre de Judée, mais le représentant de Rome. Dans le même temps, je pensais aussi : si Rome n’est pas la justice sur toutes les terres connues, pourquoi l’ai-je choisie pour maître ?
    Avant de rentrer au fort, je

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