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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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me retournai, jetant un dernier coup d’œil aux prisonniers, et là, soudain, je compris ce qui avait modifié le destin des deux hommes, poussant l’un sur la croix, l’autre hors de prison, ce qu’avait vu la foule et que je n’avais pas su voir : Barabbas était beau, Yéchoua était laid.
    Dans sa chambre, Claudia m’attendait. Je regardai cette grande Romaine, élégamment couverte de voiles pâles, ses fines articulations prises dans de lourds bracelets, cette aristocrate qui avait eu les sept collines de Rome à ses pieds : elle se mordait les doigts pour un bouseux galiléen ! De sa fenêtre, elle toisait la foule avec mépris, les traits tendus, les lèvres violettes de colère, incapable de s’habituer à l’injustice.
    — Nous avons échoué, Claudia.
    Elle approuva lentement. Je m’attendais à ce qu’elle protestât mais elle semblait avoir consenti aux événements.
    — Tu ne pouvais rien faire, Pilate. Il ne nous a pas aidés.
    — Qui ?
    — Yéchoua. Par son comportement, il a appelé la mort sur lui. Il voulait mourir.
    Peut-être avait-elle raison… Ni avec les prêtres, ni avec moi, ni avec la foule, le magicien n’avait fait aucun des gestes qui permettent d’obtenir la clémence. Sa rigidité l’avait en revanche continuellement poussé vers le trépas.
    — Il ne nous reste plus qu’à attendre, conclut Claudia.
    Je la dévisageai sans comprendre.
    — Attendre quoi, Claudia ? Dans quelques heures, il ne sera plus.
    — Il nous reste à comprendre ce que, par sa mort, il veut nous dire.
    J’ai beau aimer Claudia, j’étais au bout de la patience dont une intelligence mâle peut faire preuve en face d’une intelligence femelle. Claudia appartient à ces êtres pour qui tout est signe, la tombée d’une feuille, le vol d’un oiseau, l’emploi d’un mot, la coïncidence des pensées, la direction du vent, la forme d’un nuage, les yeux des chats ou les silences des enfants. Comme les devins, les femmes ont tendance à mettre de la pensée partout, à lire l’univers comme un parchemin. Elles ne regardent pas, elles déchiffrent. Tout a toujours un sens. Si le message n’est pas apparent, il est provisoirement caché. Il n’y a jamais de faille, jamais d’insignifiance. Le monde est définitivement touffu. J’avais envie de lui répliquer que la mort n’est que la mort, qu’on ne signifie rien par sa mort, qu’on la subit, et qu’elle ne trouverait jamais d’autre sens à la mort de son magicien que la cessation de sa vie. Mais je me retins au dernier moment : peut-être Claudia s’inventait-elle ce monde pour éviter de trop souffrir.
    À mon habitude, je pris donc le visage entendu de celui qui pesait les paroles de Claudia à leur juste poids d’or et je rejoignis mes centurions pour régler le détail des exécutions.
    Quelques heures plus tard, Yéchoua était mort, Barabbas libéré.
    — Le corps a disparu !
    Tu comprends mieux désormais ma surprise lorsque le centurion Burrus vint m’annoncer la nouvelle. Le magicien continuait ses tours ! Claudia allait pouvoir triompher.
    Encadré par une escorte, je chevauchai immédiatement vers le cimetière, non loin du palais, pour happer au plus vite le peu de vérité qui pouvait encore stagner dans l’air.
    Une dizaine de Juifs, hommes et femmes, se tenaient autour du tombeau et s’effacèrent dans les bosquets en fleurs à notre arrivée. Il ne resta que deux gardes devant le trou béant.
    À leurs costumes je vis qu’ils appartenaient à la garde de Caïphe, le grand prêtre du Temple, celui-là même qui avait été le plus acharné à condamner et tuer Yéchoua.
    — Que font-ils là ?
    Mon centurion m’expliqua que le grand prêtre, craignant qu’on ne vole le corps pour le transformer en objet de culte, faisait surveiller la tombe depuis la veille.
    — Alors qu’avez-vous vu ?
    Les gardes, paupières fermées, deux têtes de pioche aux traits épais, comme si elles avaient été esquissées rapidement dans la glaise par un potier malhabile qui n’aurait utilisé que ses pouces, se taisaient. Leurs lèvres tremblaient, mais ils ne disaient rien, épaules basses, roulés en boule dans leur silence.
    — Je les ai fouettés, Pilate, ils disent n’avoir rien vu de la nuit.
    — C’est impossible !
    Je m’approchai du tombeau, un sépulcre à la mode d’ici, comme tu n’en as sans doute jamais vu. En Palestine, on ne creuse pas la terre, mais une paroi rocheuse où l’on

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