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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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cadavres. Encore moins celle des cadavres juifs. Surtout pas le cadavre d’un Juif criminel.
    — Yéchoua n’était coupable de rien.
    — Vous l’avez pourtant crucifié.
    Je frappai sur la table.
    — Contentez-vous d’obéir. Si on laisse croire que le magicien est revenu seul à la vie, a roulé seul la pierre de son tombeau, nous allons au-devant du plus grand désordre imaginable sur cette terre pourrie où même le vin et les citrons ont des accès de fièvre ! Les auteurs du larcin pourraient créer un mouvement de foi tellement fort que, bientôt, tout le peuple d’Israël n’aura plus que le nom de Yéchoua à la bouche, qu’il nous le crachera à la figure, et qu’il n’aura de cesse de nous foutre dehors, nous les Romains qui serons responsables de son supplice. Mais cela peut même aller beaucoup plus loin et modifier tout l’équilibre des forces en présence. Si nos visiteurs de sépulture réussissent leur spectacle, ils dresseront aussi le peuple contre les pharisiens qui haïssaient Yéchoua, contre les saducéens qui ont fait son procès, et même contre les zélotes, puisqu’on a préféré libérer Barabbas, un des leurs, plutôt que Yéchoua. En un mot, si vous ne retrouvez pas les petits plaisantins qui se sont payé la gueule du monde entier cette nuit, demain tout Israël sera à feu et à sang et nous pourrons reprendre le bateau pour Rome, à condition que nous n’ayons pas été massacrés avant d’atteindre le port de Césarée. Suis-je clair ?
    Burrus, suivant mes instructions, est parti rechercher les coupables. J’ai une idée très précise de leur identité. Dans quelques heures, la plaisanterie sera éventée et tout rentrera dans l’ordre. En attendant, je t’écris cette lettre, mon cher frère, et c’est, je l’avoue, moitié pour t’informer, moitié pour tromper mon impatience. Mes domestiques continuent à préparer nos malles pour la caserne car je ne doute pas que cette affaire soit vite réglée. Je t’en écrirai le dénouement dans mes quartiers de Césarée. En attendant, porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    Ces dernières heures furent déroutantes. La situation résiste à ma logique. Je ne fais pourtant pas partie des exaltés qui rêvent la réalité plutôt qu’ils ne la voient, qui lui prêtent, telle une maîtresse lointaine entraperçue, mille qualités, mille paroles non prononcées, mille intentions inavouées qui les réconfortent, mille silences qui s’expliqueront heureusement, non, je ne suis pas de ces amants en imagination, fabricateurs de beauté, artisans de bonté, doreurs d’idéal, démiurges de la félicité. La réalité, moi, je la connais ; pis même, je la suspecte. Je m’attends à ce qu’elle soit toujours plus laide qu’elle n’apparaît, plus violente, plus sinueuse, plus torturée, captieuse, revancharde, égoïste, radine, agressive, injuste, versatile, bref, en un mot : plus décevante. Aussi, je ne la quitte pas, la réalité, je la traque, je lui colle au cul, je suis à l’affût de toutes ses faiblesses et de ses mauvaises odeurs, je la presse de rendre son jus immonde.
    Cette lucidité donne à ma vie un drôle de goût, âpre, mais elle fait de moi un préfet efficace. Aucun discours, même le plus flatteur, le plus mielleux, le plus fleuri de promesses, ne m’empêche de saisir les forces en présence. Parce que mon esprit ressemble à un couteau de boucher qui coupe juste, je me trompe peu. Habitué à négliger les perspectives optimistes, je vais souvent droit au but, et j’y vais vite.
    Or ces dernières heures m’ont plutôt donné l’impression que je piétinais en rond dans un manège.
    L’après-midi d’hier, mes hommes avaient retrouvé la trace des disciples. Les sectateurs de Yéchoua s’étaient réfugiés dans une ferme abandonnée, non loin de Jérusalem.
    Je pris une escorte de vingt hommes et je quittai le palais. Après les portes de la ville, nous dépassâmes les pèlerins qui retournaient dans leur province ; volés par les hôteliers, exploités par les marchands, détroussés par les prêtres, ils affichaient cependant le visage lisse et l’œil satisfait des hommes qui viennent de remplir leur devoir religieux.
    Derrière nous, au fond de la vallée, se dressait Jérusalem, ceinturée de murailles, exhibant orgueilleusement les tours du palais d’Hérode le Grand, les élancements monumentaux du Temple, avec ses portiques de marbre blanc étincelant

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