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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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rehaussé de dorure. Je haussai les épaules : c’était une capitale, certes, mais une capitale orientale, excessive, prétentieuse, clinquante, la capitale du mensonge religieux, la capitale de l’exploitation des âmes naïves, la capitale de la manipulation des esprits par la culpabilité et le repentir, une citadelle d’inanité que le magicien de Nazareth avait dénoncée avec violence et, sur ce point, je dois admettre que j’étais d’accord avec lui.
    Une fois le col passé, Burrus désigna du doigt une bergerie en contrebas, à la toiture crevassée.
    — Ils se cachent ici.
    Je divisai mon détachement afin que nous arrivions de toutes parts en empêchant les hommes de s’enfuir. Puis, sur mon signe, nous galopâmes vers le bâtiment.
    Personne ne bougea entre les murs. Il fallut sortir un à un les disciples qui tremblaient, telles des sauterelles.
    On rangea les hommes devant moi. Leurs corps me jetaient au nez une puissante odeur animale, l’odeur de la peur panique, l’odeur de ceux qui vont mourir. Ils pensaient que j’allais les arrêter pour leur faire subir le même sort que leur maître, et, à la perspective de la crucifixion, dégoulinant de sueur, veines gonflées et yeux exorbités, ils réagissaient de manière beaucoup plus instinctive que celui-ci.
    Je ne m’étais pas trompé : ils étaient en nombre suffisant pour avoir fait rouler la pierre silencieusement et transporté le cadavre. On avait raconté qu’ils avaient fui Jérusalem le jour même de l’arrestation de Yéchoua, et qu’ils n’avaient pas assisté à son exécution, craignant que les prêtres ou la foule ne s’en prennent aux disciples après le maître. Mais qu’est-ce qui le prouvait ? Peut-être s’étaient-ils cachés pendant le supplice, puis, à l’insu de tout le monde, avaient subtilisé le corps dans une mise en scène si parfaite qu’on serait obligé de croire que le magicien avait disparu de lui-même, exerçant son pouvoir au-delà de la mort. Cet élément de mystère leur suffirait pour vivre, quelques années encore, du culte de Yéchoua en abusant les crédules.
    — Où est le corps ?
    Aucun ne répondit. Ils ne semblaient même pas comprendre la question.
    — Où est le corps ?
    Ils fuyaient mon regard, de plus en plus terrorisés. Ils me craignaient tellement que je les sentis presque désireux de me répondre.
    L’un d’eux tomba à genoux.
    — Pitié, seigneur, pitié.
    Les autres le suivirent. Ils se prosternaient tous, bafouillant des excuses.
    — Nous avons cru Yéchoua, nous nous sommes laissé avoir par ses promesses. Il nous a bien barbouillés de miel mais nous n’avons rien fait de mal, jamais ! C’est lui qui a renversé les étals des marchands du Temple, c’est lui qui a chassé les changeurs et les vendeurs au fouet ! Nous, nous étions restés derrière, en retrait, sous la porte de Suse, surpris par sa colère. C’est lui qui critiquait le Sabbat, pas nous. Notre seule faute fut de l’avoir un peu trop écouté. Mais nous le regrettons aujourd’hui. Depuis qu’il est mort sans réagir sur une croix, comme un voleur, nous avons mesuré notre erreur. Quand on pense que nous avons quitté notre famille et notre travail pour lui…
    Ils arboraient de vraies têtes de cocus outragés. Selon mes espions, certains suivaient depuis quatre ans Yéchoua, ayant épousé sa misère, sa foi, ses luttes, sa vision, et voilà que leur rêve était fauché par la mort de leur champion dans la force de l’âge ; leur songe venait de se fracasser contre une croix ! Aujourd’hui, ils comprenaient qu’ils étaient des naïfs ; demain, on les traiterait d’imbéciles. Jusqu’à la fin de leurs jours on les moquerait sans répit, et – plus grave encore – ils seraient contraints de se gausser d’eux-mêmes.
    C’étaient de pauvres Juifs, des hommes du peuple encore jeunes mais que les rudesses des voyages, le soleil, la mendicité faisaient paraître plus vieux que des Romains du même âge. En hardes, le dos trempé, ils s’aplatissaient à mes pieds.
    — Pourquoi n’êtes-vous que dix ?
    Je venais de me souvenir que, dans les rapports de mes espions, on me parlait de douze sectateurs.
    — L’un de nous s’est pendu.
    — Et le douzième ?
    — Mon frère Yohanân est resté à Jérusalem.
    Burrus se pencha vers moi et me glissa dans l’oreille que Yohanân et Jacob appartenaient à une famille riche, influente, liée au grand prêtre

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