L'Evangile selon Pilate
Caïphe.
— Yohanân nous a quittés ce matin pour se rendre au tombeau.
— Et pas vous ?
— Nous, nous rentrons chez nous. Nous avons compris notre erreur.
— Où étiez-vous cette nuit ?
— Ici.
Ils avaient l’air sincères. Des menteurs n’auraient pas eu des attitudes aussi coupables. Des menteurs auraient brandi avec force leur alibi.
J’ordonnai à mes hommes de fouiller la bergerie et les alentours. Ils ne trouvèrent pas le cadavre. Les disciples ne semblaient même pas avoir conscience de ce que je cherchais, ils continuaient à plaider leur cause auprès de moi en accusant le magicien.
Le plus acharné à accabler son ancien maître était Syméon, un colosse aux épaules larges, aux muscles saillants, au cou puissant parcouru de multiples veines violettes, comme un réseau de vers de terre. Il mettait une telle énergie à brûler ce qu’il avait adoré que j’imaginai avec quel excès, par le passé, il avait dû vénérer et aimer Yéchoua.
Tout cela commençait à me fatiguer. Il était évident que ces misérables avaient tout perdu et qu’ils étaient persuadés que nous n’étions venus que pour les arrêter, que leur avenir était la prison du fort Antonia, le procès du sanhédrin, et sans doute la mort. S’ils avaient pu donner un élément pour se défendre, ils l’auraient déjà lâché.
À cet instant, une forme blanche apparut sur le chemin. Accourant de Jérusalem, arrivait un beau garçon de dix-huit ans, au corps bien découplé, qui semblait être en proie à une émotion extrême. Négligeant ma troupe, ma présence, il se précipita vers les disciples et leur cria :
— Yéchoua n’est plus dans son tombeau !
Les Juifs furent tellement abasourdis qu’on aurait pu douter, à leur immobilité, qu’ils eussent bien entendu. Le jeune homme répéta joyeusement la nouvelle, surpris de ne pas obtenir de réaction. Sans l’écouter, les disciples me regardaient du coin de l’œil, essayant de faire comprendre au jeune homme que j’étais là.
Le jeune homme se retourna alors vers moi et, sans se démonter une seconde, me sourit.
— Bonjour, Ponce Pilate. Je suis Yohanân, le fils de Zébédée. Je viens leur annoncer ce que tout Jérusalem sait désormais : Yéchoua a quitté son tombeau !
Effectivement, Yohanân avait l’assurance insolente des fils de grande famille. Comme je ne supporte pas que l’on m’adresse la parole sans que j’aie parlé d’abord, je ne répondis pas et fis signe à mon escorte de se rassembler.
Je toisai les disciples.
— Je ne vous arrête pas. Rentrez chez vous. Et ne remettez plus les pieds à Jérusalem.
À ces mots, les visages se détendirent comme la terre sèche cesse de craqueler à la première pluie. Ils se regardaient les uns les autres, interloqués : ils étaient libres ! Ils s’inclinèrent devant moi, sauf Yohanân ; Syméon, éperdu de reconnaissance, m’embrassa même les pieds, pas le moins du monde gêné de témoigner aussi bassement sa joie.
Je les admonestai cependant une dernière fois :
— Rentrez chez vous, reprenez votre travail, oubliez le magicien et cessez de colporter la nouvelle que son cadavre a disparu. Dans quelques heures, nous l’aurons retrouvé et nous mettrons en prison les voleurs.
Yohanân éclata de rire et je vis ces belles dents de jeune homme heureux se moquer de moi avec insolence. Je saisis mon fouet pour le frapper quand il m’arrêta en me disant très vite :
— Je sais qui a pris le corps de Yéchoua.
Il semblait sincère. Était-ce ma réaction qui l’avait ramené à des sentiments respectueux ? Il insista en me fixant dans les yeux.
— Je sais qui c’est.
Je pris le temps de ranger mon arme à ma ceinture. Après tout, cette expédition n’avait pas été inutile.
— Comment le sais-tu ?
— C’était prévu. Il y avait un plan.
— Intéressant. Eh bien ?
— Tout s’est déroulé dans l’ordre.
— Intéressant. Et qui a volé le cadavre ?
— L’ange Gabriel.
Je contemplai longuement le pauvre garçon. De toutes les forces de son jeune corps, de sa jeune âme, il croyait à ce qu’il disait. Pour ta gouverne – car fort heureusement tu ignores, mon cher frère, ces sottises hébraïques – sache que les anges – une spécialité d’ici, au même titre que les oranges, les dattes ou le pain sans levain – sont des messagers du Dieu unique, des créatures spirituelles qui prennent des formes humaines,
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