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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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une troupe de soldats immatériels et sans sexe qui sont intervenus, paraît-il, maintes fois pour écrire l’histoire de ce peuple. Pour aller et venir entre le ciel et la terre, ils empruntent une échelle que je n’ai jamais vue. Ils sont très anti-romains aujourd’hui, comme ils furent anti-égyptiens dans le passé, car ils se solidarisent magnifiquement avec les Juifs dans toutes leurs querelles. Ceux-ci les font intervenir lorsque leur raison trébuche, c’est-à-dire très souvent. Ce jeune homme avait donc interprété ce qui lui échappait par une intervention divine, et, pour donner plus de crédibilité à son explication, nous révélait même le nom de l’ange : Gabriel. Car ces étranges créatures, bien que personne ne les appelle, ont néanmoins un prénom dont la terminaison « el » indique qu’ils viennent de Dieu. Mickaël, Raphaël, Gabriel. Tu mesures, à ce galimatias, ce que signifie être préfet de Judée… Je ne suis pas seulement exposé quotidiennement aux désordres des hommes – rivalités, soulèvements, émeutes – mais aussi aux désordres de leurs idées. Comme un vin qui fait perdre toute clarté, la Judée rend fou. Le paradoxe de cette terre sèche, nette, parfois désertique, sans brume et sans nuages, c’est qu’elle produit des brouillards de pensée.
    J’ordonnai à mes troupes de rentrer et, sans un commentaire, nous abandonnâmes les disciples car je savais désormais où nous devions nous rendre pour récupérer le cadavre.
    Lorsque j’avais saisi que les disciples, trop lâches pour entreprendre quoi que ce fût, n’auraient jamais pipé les dés, j’avais tout de suite deviné d’où venait le subterfuge. Il fallait quelqu’un d’établi qui puisse mobiliser une troupe de voleurs efficaces, discrets et silencieux, puis cacher un cadavre sans éveiller de soupçons.
    Je mis le cap sur le domaine agricole où prospérait le riche et respecté Yoseph d’Arimathie.
    Comment n’y avais-je pas songé plus tôt ? Yoseph était évidemment l’homme qui tirait toutes les ficelles depuis deux jours…
    La ferme apparut à l’est de Jérusalem après une mer d’oliviers. Tout autour s’élançaient des vignes à perte de vue. Grâce au vin qu’il en tire, Yoseph passe pour être un des hommes les plus fortunés d’ici, ce qui lui permet de siéger au sanhédrin, l’assemblée qui rend la justice sur les affaires religieuses, celle-là même qui fit le procès du magicien. Le sanhédrin comprenant trois classes – les prêtres, les docteurs de la Loi et les grandes familles aisées –, c’est à ce titre que Yoseph y siège et il y tient un discours modéré, loin des excès religieux habituels. Cependant, il s’était intéressé plus que de raison à Yéchoua. Au soir de la crucifixion, Yoseph vint me demander le droit de le décrocher, de l’embaumer et de l’ensevelir dans son tombeau tout neuf qu’il venait de faire aménager.
    Parce qu’il semblait gêné de m’exposer cette requête, j’avais soupçonné qu’il avait voté, avec le sanhédrin la mort de Yéchoua par discipline de vote, mais qu’il avait plus d’intérêt religieux qu’il n’en avait laissé paraître. Sans trop poser de questions, j’acceptai sa proposition d’ensevelir Yéchoua, d’autant qu’il fallait faire vite, avant le coucher du soleil ; sinon le Sabbat et la Pâque allaient interdire toute activité. De plus, j’avais toujours estimé Yoseph, sage marchand, bon père de famille et modéré au sein de ce sanhédrin que j’essaie de contrôler autant que possible.
    Sur le moment, je n’avais pas imaginé à quel plan tortueux j’étais en train d’acquiescer.
    Notre troupe passa le portail du domaine et le trouva dans un étrange état. Portes et fenêtres étaient ouvertes mais les femmes ne s’interpellaient pas de l’une à l’autre ; la grange était béante, l’enclos des poules entrebâillé, mais aucun berger, aucun palefrenier, aucune fille n’y circulait. Nous avancions dans un monde figé, impressionnés par le silence. Des tas de foin avaient été répandus au sol, des outils jetés à bas, des bâtons se dressaient, plantés dans le trou à fumier.
    Nous mîmes pied à terre et découvrîmes qu’à l’intérieur de la ferme la bizarrerie continuait : les coffres étaient vidés, les sacs éventrés, le linge dispersé, les meubles renversés, les lits retournés, les paillasses déchirées, les rideaux arrachés. Aucun

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