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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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lâcha un pet.
    — Enfin ! Je suis content que tu sortes de ta réserve, Pilate : j’avais l’impression que tu étais mort.
    — Craterios, ne fais pas semblant de contrôler la situation ni d’avoir voulu ma colère ! Et si tu me parles de Yéchoua, réponds à la seule question essentielle qui se pose à son sujet : est-il ressuscité, oui ou non ?
    Craterios posa sa grosse main sur mon front.
    — Mon pauvre Pilate, cela fait trop longtemps que tu demeures en Palestine : le soleil a fini par avoir raison de toi.
    — Est-il ressuscité, oui ou non ? Est-il seulement un sage ou bien le Fils de Dieu ? Est-il le Messie ?
    À ma propre surprise, je hurlais, au bord des larmes, sans pouvoir me contrôler.
    Craterios dit, en se grattant pensivement la couille gauche :
    — Personne n’a jamais ressuscité.
    Je ne pus m’empêcher de lui aboyer aux oreilles :
    — Comment peux-tu savoir à l’avance ce qui est vrai et ce qui n’est pas vrai ? Ce qui est possible et n’est pas possible ? Crois-tu vraiment tout savoir du monde créé ? Avant que tu vives, qui aurait pu imaginer qu’il existerait un individu aussi répugnant et inutile que Craterios ?
    Et je quittai la pièce, sans me retourner sur le philosophe de notre enfance.
    Je viens de préparer une besace de voyage ; j’ai emprunté un manteau de pèlerin ; dès que j’aurai terminé cette lettre, je partirai à la recherche de Claudia sur la route de Nazareth.
    Je ne sais si je pourrai t’écrire. Je tâcherai de le faire lorsque je m’arrêterai dans les auberges.
    J’ignore à la rencontre de quoi je vais, mais une chose est certaine : j’y vais. Porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    Je ne suis plus qu’un marcheur au milieu des marcheurs.
    Pour l’heure, je n’ai toujours pas retrouvé Claudia, ni appris quelque chose de nouveau.
    Chaque jour, les routes se couvrent de plus de gens qui veulent voir le Galiléen.
    Au gré des villages traversés, les pèlerins s’arrêtent aux fontaines et répètent la même histoire : Yéchoua est apparu aux onze disciples. Lors d’un repas, ils le prirent d’abord pour un mendiant ; fidèles à leur devoir de charité, ils le prièrent d’entrer pour dîner avec eux ; le vagabond se mit à table, rompit le pain et le leur donna ; alors seulement leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent.
    Les aubergistes, peu préparés à autant d’affluence, manquent de chambres et dressent des paillasses dans les cours. Je préfère encore dormir plus loin, au milieu des champs, sous les étoiles muettes, afin que l’on ne me remarque pas. À bientôt. Porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    Rien de nouveau, mon cher frère, sinon une barbe naissante qui me permet de circuler plus discrètement. Mais je ne me fais guère d’illusions sur ma capacité de passer pour un Juif : outre mes jambes lisses et poncées qui révèlent le Romain, je sais qu’une nation dépose toujours sa trace indélébile sur les traits d’un visage ; le langage fait autant la bouche que les dents ; le régime alimentaire huile ou assèche les peaux ; les mœurs créent des regards audacieux ou pudiques, mobiles ou fixes ; même le ciel qui les voit naître modifie la couleur des yeux. Aussi ai-je la nuque cassée à force de marcher tête courbée, capuchon baissé. Mon cou souffre autant que mes pieds.
    Curieusement, alors qu’au départ de Jérusalem je m’estimais isolé au milieu des pèlerins, je me sens chaque jour plus proche des autres. Ce qui s’use sur ces chemins pierreux de Galilée, ce ne sont pas seulement mes semelles, mais le sentiment que j’avais d’être unique. Quelque chose me fait éprouver une plus grande proximité avec mes compagnons de voyage, je ne sais pas trop quoi… Peut-être la marche, la soif, la quête. Ou tout simplement la fatigue.
    Porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    Je marche toujours.
    À certains moments, je ne suis même plus certain d’avoir un rendez-vous et je dois me remémorer la lettre de Claudia pour me donner de la force. Je suis persuadé qu’il en est de même pour les autres pèlerins. Où vont-ils ? Ils l’ignorent ; là où voudra bien apparaître Yéchoua. Pourquoi y vont-ils ? Ils ne le savent pas davantage ; ils sont poussés par quelque chose d’indistinct, une soif de l’esprit qui voudrait se rassasier à une vraie source. Ont-ils été conviés ? Aucun ne le fut personnellement car les messages de

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