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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Yéchoua s’adressent à tout le monde ; seule sa foi permet à chacun d’estimer qu’il a le droit d’être là.
    Étrange cohorte qui soulève la poussière pour l’élever dans le soleil.
    Ce matin, lors d’une halte pour vérifier qu’une écharde n’entamait pas la peau encore tendre de mes orteils, une femme s’approcha.
    — Laisse-moi te laver les pieds.
    Avant même que j’eusse le temps de répondre, elle s’agenouilla, versa de l’eau douce sur mes membres meurtris et commença à les frotter délicatement. J’éprouvai un bien-être immédiat.
    Puis elle les essuya avec un linge propre, secoua mes sandales poussiéreuses et me les rattacha. Je n’avais vu de sa tête penchée que ses beaux cheveux noirs coiffés autour d’une raie et partiellement couverts d’un voile.
    — Merci, esclave.
    Je lui tendis une pièce pour son travail.
    Elle releva alors le visage vers moi et je découvris Myriam de Magdala, l’ancienne courtisane, une des femmes qui suivaient Yéchoua, peut-être la première à bénéficier d’une apparition.
    — Je ne suis pas une esclave.
    Elle souriait, nullement vexée, le front serein.
    — Pardonne-moi de t’avoir offensée.
    — Tu ne m’offenses pas. Si être esclave, c’est faire du bien à son prochain, je préfère être esclave. Yéchoua lui-même lavait les pieds de ses disciples. Peux-tu imaginer cela, Romain, un Dieu qui aime tellement les hommes qu’il s’agenouille pour leur laver les pieds ?
    Sans attendre ma réponse, elle sourit encore et se releva.
    — Hâte-toi, Pilate, ta femme t’attend avec impatience. Elle fait partie des bienheureuses auxquelles le Seigneur s’est montré.
    — Où est-elle ? Quel chemin dois-je prendre ?
    — Peu importe. Tu la trouveras lorsque tu seras prêt. Tu sais très bien que ce voyage, nous ne le faisons pas seulement sur les routes, mais d’abord au fond de nous-mêmes.
    Et elle disparut.
    J’ai donc eu la confirmation de mon rendez-vous. Je vais où mes pas me portent. J’espère que mes pieds sont plus intelligents que moi.
    Au bout de l’encre et du parchemin que m’a procurés l’aubergiste, je te quitte en te souhaitant, mon cher frère, de te porter bien.

De Pilate à son cher Titus
    Les pèlerins affluent de toutes parts, comme les ruisseaux joignent et grossissent le fleuve.
    Les mêmes conversations, les mêmes anecdotes, les mêmes espoirs sont charriés par le courant, passant de bouche en bouche.
    Chaque jour je ressens davantage l’énergie énorme, redoutable, formidable, qui pousse les flots des marcheurs. Cette force qui leur fait les yeux clairs, le front serein et les cuisses inépuisables, c’est la Bonne Nouvelle. Je commence juste à saisir ce qu’ils entendent par là. Ils croient qu’un monde nouveau commence, le Royaume dont parlait Yéchoua. Je m’étais mépris sur ce mot « royaume ». En bon Romain pratique, inquiet et responsable, j’y voyais la Palestine et je soupçonnais que Yéchoua voulait reprendre l’œuvre d’Hérode le Grand, abolir la division en quatre territoires, les réunifier, nous chasser et s’asseoir sur un trône unique. Puis, comme Craterios, j’ai pensé qu’il parlait d’un royaume imaginaire, un territoire d’après la mort, tel l’Hadès des Grecs, une promesse de salut. Je me suis trompé deux fois. Il s’agit en fait d’un royaume à la fois très concret et très abstrait : ce monde-ci va être transformé par la parole de Dieu. Il va demeurer en apparence le même, mais infiltré de l’intérieur par l’amour. Chaque individu va se changer lui-même. Pour que le Royaume advienne, il faut que les hommes le désirent. Si la graine tombe sur une mauvaise terre, elle sèche et meurt. Si, au contraire, elle tombe sur la bonne terre, elle croît et porte ses fruits. La parole de Yéchoua n’existera que si elle est reçue. Le message d’amour de Yéchoua ne se réalisera que si les hommes veulent bien aimer.
    Je ne sais pas encore, mon cher frère, ce que j’en pense. Je jugerai plus tard. Mais j’apprécie que ce Yéchoua n’assène rien sans faire appel à la liberté de ses interlocuteurs. Quelle différence avec les prêtres qui vous assomment de dogmes, les philosophes de raisonnements, les avocats de rhétorique. Yéchoua ni n’impose, ni ne raisonne, ni ne convainc. Il sollicite une disponibilité intérieure, une porte que nous consentirions à ouvrir, et, à cette condition-là, propose son message qui

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