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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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vignes du Villar que nous vendangerons bientôt avec nos femmes. Allez, mes bons enfants, et revenez-moi tous !
    Il rit dans les vivats sonores, se tourna vers son compagnon qu’il croyait à côté, ne le vit point, s’inquiéta.
    Il le chercha, l’aperçut au bord du clair de lune, éperonna sa bête jusqu’à lui, saisit fermement son bras et se tint ainsi silencieux, le visage tendu, en grand souci d’une parole d’amitié. Jourdain le regarda, l’air rancunier. Il lui dit :
    — Dieu te garde, bandit.
    Pierre se redressa, rayonnant, lança au ciel un hurlement sauvage et galopa vers le fond de la troupe où parmi ses gens il se perdit.
    À l’instant où les chevaux s’ébranlaient, la vieille femme du hameau que personne n’avait encore vue apparut avec sa chèvre dans la lumière nocturne qui baignait la cour. Elle trotta, courbée sur son tablier qu’elle tenait en boule contre son ventre, jusqu’au bord du sentier où elle s’arrêta. Là elle se mit à puiser fiévreusement dans son haillon des poignées de blé qu’elle jeta aux cavaliers passants, comme l’on fait à un mariage, en criant à voix perçante des paroles de bonne chance. Sur son visage infiniment ridé ruisselaient larmes et morves parmi des lambeaux de chevelure terreuse. Éperdus étaient ses gestes à chaque enfouissement de son poing dans ses hardes, effrayants ses yeux étoilés à chaque envol de main tremblante au-dessus de sa tête, insupportables enfin ses pleurs, ses reniflements et son sourire extasié à chaque braillement de sa bouche sans dents. Golairan lui fit un signe amical et se mit à chantonner dans la nuit comme un homme sans souci. Tandis que se mêlaient, pour un instant fugace, les criailleries de la mère Misère et la musique tranquille du guide, vint à l’esprit de Jourdain que si le tiraillait sans cesse le désir de fuir lieux de halte et maisons fermées, c’était sans doute qu’il détestait la vie qui pesait sur le monde.

4
    Un vent léger les accueillit sur le chemin montant qui menait à la porte du village. Devant, à quelques pas, l’allée s’enfonçait sous une voûte sombre et malodorante entre deux tours campagnardes peuplées de corbeaux au vol pesant, aux cris rares. Jourdain leva la main, fit s’arrêter ses gens sans qu’un mot ne fût dit et resta tout roide sur sa selle à guetter l’alentour. Aux deux bords de la montée la muraille d’enceinte se perdait au loin, dans des brumes. Quelques cabanes bancroches parmi de vagues jardins dévalaient la pente douce de la butte. La nuit lui parut franche, telle qu’au désert autrefois il l’aimait parce qu’elle dépouillait le monde de tout, sauf de l’essentiel, un trait noir de rempart tiré à travers ciel, une ligne de terre, un arbre droit sous la lune précise. Il fit un signe à Golairan. Le bonhomme descendit de sa mule, s’avança prudemment sous l’arc du portail, disparut dans d’épaisses ténèbres. Une lueur de torches envahit le passage pavé. Avec ce feu haut brandi dans le noir trois ombres s’en revinrent, hésitèrent soudain, effrayées par un crépitement de galop qui montait du fond de la troupe. Jourdain d’un bref coup d’œil vit Pierre à son côté tirer si brutalement sur ses rênes que sa monture se cabra en hennissant aux étoiles. Golairan recula, les bras ouverts pour tenir à distance de ce déferlement les hommes qui l’accompagnaient. Il les rassura de quelques paroles malingres, puis quand lui parut apaisé ce fou tonitruant qu’il semblait redouter inconsidérément il s’avança jusqu’aux cavaliers. Sans trop oser lever la tête, comme s’il craignait encore des foudres imprévisibles, il dit aux museaux des chevaux que tout était tranquille et qu’on pouvait aller. Selon ce qui s’était murmuré parmi les veilleurs dissimulés sous les porches de la ruelle, les chandelles étaient éteintes dans la chambre des clercs, Jacques d’Alfaro déjà s’impatientait à battre la semelle sous le mur du donjon et seule dans le village une vieille putain exilée de Toulouse errait sans espoir le long du cimetière où n’étaient que des chiens. Pierre désigna les deux villageois qui se tenaient à l’abri de leur compagnon, la figure illuminée par la flamme fumeuse que tourmentait la brise au bout de leur bâton.
    — Ceux-là resteront ici avec Berriac, Taillefer et moi, dit-il.
    Il se dressa sur ses étriers pour les mieux voir et dit encore, haussant le

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