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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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altérée :
    — Hé ! qu’elle pleure, pauvre femme, peu m’importe ! Je suis libre, je suis bon et je sais aimer. N’est-ce pas, mon maître ?
    — Nous allons nous quitter, lui répondit Jourdain.
    — Longtemps ?
    — Dieu sait.
    — Pourquoi ?
    Ils ne parlèrent ni ne bougèrent plus. Tous deux restèrent recueillis à se chercher l’un l’autre sur les routes du ciel.
    Tout au long de la matinée prochaine ils chevauchèrent par chemins et villages traversés en si grande hâte qu’ils n’aperçurent au pas des portes que visages effarés, enfants tenus serrés dans les jupes des mères, rares épieux joyeusement brandis et courses brèves devant la cavalcade. Vers l’heure de midi ils s’enfoncèrent dans l’épaisse fraîcheur de la forêt d’Ariège où ils ne cheminèrent plus qu’en compagnie d’oiseaux dans la lumière des feuillages. Quand au sortir du bois de Montferrier la citadelle leur apparut sur l’échine du mont, le soleil resplendissait derrière le rempart ombreux. Du bas sentier ils saluèrent tous à grands cris ce refuge semblable à un faubourg céleste où étaient leurs feux d’âtre, leurs femmes, leur repos, et s’engagèrent sur le raidillon avec une fureur nouvelle.
     
    Alors Jourdain s’arrêta au milieu du chemin. Pierre plus haut fit halte et se tourna vers lui, tandis que les hommes, sans l’attendre, s’éparpillaient sur la friche montante, cherchant des raccourcis buissonniers. Plus haut encore à la cime d’un rocher apparut Thomas, raide sur son cheval parmi les buis et les chênes verts. Tous trois restèrent un moment immobiles, puis Pierre leva son gant au-dessus de sa tête pour un dernier salut, fit tournoyer sa monture, tendit le poing vers le sommet de la montagne où les remparts brunis semblaient tenir captifs les derniers feux du jour, et hurlant tout à coup il éperonna si rudement sa jument qu’elle se cabra en hennissant avant de s’enfoncer entre les arbres. Comme les feuillages se refermaient derrière lui, Thomas, dressé sur ses étriers, se prit à lancer au ciel des paroles violentes que Jourdain ne put comprendre. Le garçon, criant encore, lui aussi tourna bride et disparut dans les fourrés.
    Jourdain, demeuré seul, s’en alla par la sente qui menait au torrent des lavandières. Au bord de la clairière où étaient les planches à lessive il laissa son cheval, suivit malaisément la rive vers l’amont parmi les broussailles et les hautes herbes odorantes jusqu’à pénétrer sous une épaisse voûte de branches où était un trou d’eau peuplé de libellules bleues. Il savait que là, tous les soirs à la tombée du jour, Bernard Marti venait secrètement confier sa vieille âme à l’amitié des éphémères. Il s’assit dans ce lieu silencieux et attendit. Les verdures peu à peu s’assombrirent. Nul ne vint. Il pensa que le vieux parfait, accaparé par le retour des hommes, avait peut-être pour ce soir renoncé à goûter le parfum de paix qui régnait dans cette chapelle de nature. Il courba le dos, prit dans ses mains son front. « Bernard, Bernard, se dit-il, pourquoi ai-je voulu vous revoir ? Vous avez trahi Dieu en bénissant ces meurtres. J’aurais dû pour cela me détourner de vous, et pourtant maintenant je n’ai même plus le cœur de vous reprocher ce que vous avez fait. En vérité, savez-vous ce que je veux, ce que j’espère à toute force, pauvre fou que je suis ? Que vous allumiez devant mes yeux une lueur nouvelle vers où je puisse aller. » Il eut un sourire misérable et résolut de partir sans plus tarder. Alors il entendit bruisser les buissons proches.
    Une bouffée de feu lui emplit la poitrine, mais il ne bougea pas. Bernard Marti s’assit près de lui sans un mot.
    — Bernard, lui dit Jourdain, je n’ai plus foi dans vos paroles.
    Il n’eut pas un regard à son visage. Il ajouta, à voix presque basse :
    — Il faut pourtant que vous m’aidiez.
    Bernard resta muet à contempler l’eau calme. Un mulot ruisselant apparut sur la rive, flaira l’alentour, puis d’une course brusque s’enfonça sous les herbes. Jourdain malaisément s’agita, dit encore :
    — Dites-moi seulement que vous avez mal agi, je vous sens si souffrant. Mon Dieu, nous sommes tous faillibles.
    Un sourire fugitif traversa la face du vieil homme. L’autre le devina, d’un bref coup d’œil pointu. Il en fut pris de hargne sourde, à grand bruit soupira, gronda enfin :
    — Pourquoi ne me

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