Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
obliques d’où pendaient des lambeaux de cordes. Au loin, près d’une haute croix, de vagues grisailles montaient encore d’un relief de bûcher. Ils s’avancèrent dans ce lieu désolé jusqu’à découvrir deux sergents occupés à jouer aux dés aux pieds du Christ pétrifié sous le ciel pâle. Ces hommes regardèrent venir les voyageurs sur leur cheval, puis tout à coup alertés tournèrent la tête vers l’étouffant brouillard qui couvait à quelques pas le cercle de débris consumés. Une créature furtive en sortit, jeta sur son épaule un ballot au fond lourd et s’en alla trottant. D’un bond les gardes se dressèrent, lui coururent dessus en la hélant rudement. C’était une vieille femme aussi maigre et cendrée que la Mort même. L’un lui tordit le bras jusqu’à l’agenouiller, l’autre sans souci de ses cris lui arracha son sac avec une hargne tant avide qu’il en tomba de cul. Jourdain près d’eux fit halte et toisa les pendards du haut de sa monture, le dos droit, l’air sévère.
    — Voyez, messire, dit le soudard assis par terre.
    Il plongea ses deux mains dans la misérable besace, exhiba des ossements noircis devant sa figure triomphante, les jeta par-dessus l’épaule, en sortit d’autres, partit d’un rire saccadé sous son casque trop grand. Il dit encore :
    — Ce sont des débris d’hérétiques. Des gens viennent parfois voler de ces reliques.
    — Menons-la au viguier, grogna son compagnon.
    La vieille agenouillée haletait et priait. Aux deux soldats qui la tenaient contre leurs bottes trouées Jourdain demanda combien de marcs d’argent leur étaient payées ces sortes de prises. Ils répondirent ensemble. L’un dit deux, l’autre trois. Dans l’herbe il laissa choir quatre pièces luisantes. Les hommes les ramassèrent, les examinèrent une à une, l’œil précis, et les faisant sonner dans leur paume ils s’en retournèrent à leur jeu de dés. La vieille s’en alla vers le bord de Garonne. Au bout du champ, Jeanne et Jourdain franchirent la porte du Bazacle entre deux remparts ruinés où n’étaient que ronces et chats sauvages. Sur les toits de la ville sonnait l’angélus du soir.

7
    Par les ruelles encombrées de charrettes, de portefaix, de femmes babillardes et d’ânes taciturnes, de bancals harcelant des gens en baguenaude, d’odeurs de cuir, d’épices, de tripailles et d’étables, de psalmodies d’aveugles, de marchands de gros sel aux clochettes acides, ils cheminèrent à grand-peine à la recherche de la rue des Bancs-Majours, qu’on leur avait dite proche du Capitole. Là était la maison de Sicard Lalleman. C’était le seul parent que Jourdain eût en ville, et comme sa demeure approchait une inquiétude lourde, quoique vague, envahit peu à peu son cœur. « Peut-être, se dit-il, ne suis-je plus pour lui qu’un dangereux perdu. Peut-être aura-t-il peur de me donner asile. » Infiniment lointaines lui parurent ces années de prime jeunesse où pour chaque Noël et Saint-Jean de juin maître Lalleman venait au Villar visiter sa famille. C’était un cousin de son père. Il n’avait pas d’épouse. Il était avocat. Au regard innocent de l’enfant du château, il était fastueux comme un Roi mage. Environné d’une caravane de rêves, ainsi lui apparaissait à l’entrée des plus belles fêtes de l’an ce juriste aux robes lourdes qui affectait un intérêt benoît pour sa menue personne, se laissait attirer aux nichées de faucons et jurait en latin quand par pure bonté il perdait aux échecs. Tandis qu’il chevauchait avec Jeanne éblouie dans les poussières d’or de cette fin de jour printanière, revinrent à l’esprit de Jourdain de ces plaisantes sottises aux musiques sonores. Il en fut tout échauffé de nostalgie. Maître Sicard avait cessé de venir au Villar après qu’il eut conquis un siège de consul au parlement de Toulouse. Autant que ses sûres compétences, sa maîtrise dans l’art d’engourdir les méfiances avait fait de lui, à ce que l’on disait, l’un des membres les plus influents de cette éminente assemblée. « Même avec les enfants et les vieilles servantes il rusait par plaisir », pensa Jourdain, poussant son cheval harassé le long des obscures boucheries de ce quartier des Bancs-Majours qui paraissait peuplé, plus que de gens de robe et de parcheminiers, de chiens, de commerçants crasseux et de mégères. Un ruisselet de sang et d’eau entre les étals où

Weitere Kostenlose Bücher