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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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est sans vertu ni vice. Elle n’est rien qu’un outil. Et je crois faire meilleur usage de mon hypocrisie que toi, beau combattant, tu n’en as fait ces jours-ci de tes armes.
    Et comme Jourdain restait la tête basse à ruminer des foudres :
    — Notre comte Raymond a confié à Jacques d’Alfaro le soin de manigancer cette tuerie où tu as trempé ton nez. Soit. Il avait besoin d’une étincelle pour allumer son feu. Mais quel homme sensé pourrait imaginer qu’il puisse désormais se commettre dans la compagnie, même passagère, de l’un ou l’autre de ces inavouables ouvriers de boucherie qui l’ont servi gratis ? Je savais que tu ne retournerais pas à Montségur avec ton Pierre de Mirepoix. Dès que tu as compris à quel travail il te menait, tu l’as haï, et avec lui tous ceux qui vous avaient poussés, et tu t’es vu sans plus de frère ni de maison sur ta montagne, perdu, libre de tout, sauf, apparemment, de cette jeune tisserande de Vendines que tu m’as amenée, je ne sais trop pourquoi. Où pouvais-tu aller ? À Toulouse. Non point chercher abri auprès du bon Sicard, je connais ta fierté. Elle était émouvante quand tu étais jeunot. Elle ne t’est guère plus utile aujourd’hui qu’une lampe allumée devant des yeux d’aveugle. Pauvre enfant ! Tu espérais en venant à la ville trouver un chemin de rédemption, quitte à te contenter de rencontrer la mort et de lui ouvrir les bras pour peu qu’elle te dise : « Tout est bien, mon Jourdain, tu as payé ta faute. »
    Le vieux consul leva ses larges mains et se prit à rugir, débordant de fureur joyeuse :
    — Misérable ! Qu’as-tu fait du sang de ton père, de son goût de jouir, de son front de sanglier qu’aucun mur n’effrayait ?
    — Comment savez-vous tout cela de ma vie ? dit Jourdain, ébahi.
    Sicard lui répondit en riant :
    — Mazerolle.
    Un espion, ce balourd, ce dindon gobe-mouches ? Jourdain sourit vaguement au visage épanoui de Sicard Lalleman, puis son regard s’en fut jusqu’à l’ombre lointaine entre mur et plafond. Mazerolle en effet avait de quelques jours suivi son arrivée à Montségur. Sa lenteur de pataud toujours tombant des nues et son innocente ardeur à rire avec les autres des moqueries dont on l’accablait l’avaient fait passer aux yeux de tous pour une brute épaisse à l’esprit de chiot. Il le revit à la sortie de la poterne sous le ciel noir d’Avignonet, errant parmi ses compagnons souillés du sang des clercs sur l’espace pavé où l’incendie des registres illuminait le rempart du château. Dans l’assourdissant vacarme des carillons qui emplissaient la nuit, tandis que les hommes s’en revenaient en hâte à leurs montures, il avait trotté jusqu’à son capitaine qui chevauchait déjà, et sa figure lunaire maculée de salissures répugnantes mais nette de tout tracas lui avait dit en souriant qu’il quittait ici la troupe et partait pour Toulouse.
    — Certes, il n’avait pas pensé que tu viendrais me voir, dit Sicard. Cela, je l’ai flairé quand il m’a rapporté ta dispute avec ce brigand de Mirepoix.
    Il se pencha vers son jeune cousin, lui prit les mains, dit encore :
    — Jourdain, je suis heureux de t’avoir près de moi. En ville, ces jours-ci, on s’agite beaucoup. Des soldats vont et viennent. Tu passeras inaperçu. Sauf d’Alfaro, tout le monde ignore à Toulouse que tu étais de ces étripailleurs qui, soit dit en passant, ont fait bien des contents, en cachette de Dieu.
    — Mazerolle le sait. Êtes-vous bien certain qu’il n’a servi que vous ?
    Sicard Lalleman croisa ses doigts sur sa bedaine et répondit, moqueur :
    — Il ne parlera pas, mon petit, sois tranquille. Je lui ai payé son dû, et Peignon l’autre soir lui a tranché le cou.
    Sicard Lalleman ne voulut pas en dire davantage. Il se dressa en maudissant à voix geignarde ses douleurs de vieil homme et s’en fut par la salle appeler son valet avec une truculence de charretier. L’autre à peine paru s’entendit houspillé comme une mule cabocharde. Sicard, secrètement joyeux dans sa mauvaise foi chicanière, s’étonna par mille dieux et diables que la table ne fût pas encore dressée et le dîner servi. Tandis que Peignon s’insurgeait contre l’injustice patente de son maître, Jourdain s’en alla s’accouder sous l’arc de la fenêtre. L’air de la cour était baigné de lune tiède. Jeanne n’était plus sous le figuier immobile près du puits. Il

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