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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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mon cousin, tu m’as donné bien du tourment.
    Son air était si franc que Jourdain tout béat se laissa embrasser comme un piquet planté. Tous deux enfin s’assirent devant les hautes flammes.
    — Autant qu’il m’en souvienne, dit le consul, s’installant dans un devisement de bonne compagnie, notre pauvre frère Saint-Thibéry t’avait conseillé ce nouveau voyage, après les compromissions hérétiques dont tu t’étais rendu coupable. J’avais en son temps longuement conversé avec lui de tout cela. Je lui avais fait valoir que ta curieuse passion de tout savoir des êtres et des machineries du monde t’avait sans doute malencontreusement égaré. Nous étions convenus que tu méritais l’indulgence et que si tu faisais preuve de repentir convenable, après deux nouveaux ans passés à méditer et à combattre outre-mer, ton château du Villar te serait tout bonnement rendu.
    Il croisa les mains sur son ventre, laissa aller le menton sur sa poitrine, resta rêveur le temps d’un éclat d’étincelles, puis :
    — Quel diable, pauvre enfant, t’a donc poussé sur ce mauvais chemin ? Cessons nos simagrées, elles me sont pénibles. Comment vais-je pouvoir te sauver maintenant ?
    — Nous serons bientôt en guerre, maître Sicard, lui répondit Jourdain s’efforçant à l’entrain, le cœur tout cahotant. J’ai vu sur mon chemin le peuple remuer. Le comte de Toulouse rameute ses barons. S’il chasse les Français et renferme les gens d’Église dans leurs cloîtres, vous n’aurez guère à vous soucier de moi.
    Le vieil homme maugréa et remua la tête, comme si l’empêtrait quelque songe pesant.
    — Bien sûr, l’espoir est là, dit-il, mais il est tout menu.
    — Les clercs inquisiteurs et les nobles du Nord sont partout détestés dans le pays. Quoi ? Doutez-vous vraiment que nous puissions les vaincre ?
    — Raymond le peut, mais s’il s’engage il le fera sans toi, lui répondit Sicard, l’œil aiguisé sous la paupière lourde.
    — Pourquoi ? risqua Jourdain.
    L’autre le regarda sans paraître le voir, puis rabaissa le front, s’affaissa en méditation vague, haussa tout soudain les sourcils, et les yeux à nouveau piqués de lueurs vives :
    — Un seul homme à Toulouse peut te laver de pied en cap.
    Il resta à l’affût, une moue à la bouche, tapi dans son silence comme un joueur matois.
    — Allons, dites-moi qui, lui demanda Jourdain, riant malaisément.
    — D’Alfaro, répondit Sicard.
    Et tout à coup s’animant, semblable à un gourmet visité par un fumet de belle viande :
    — Il est puissant mais j’en sais long sur lui. C’est un proche du comte, il est son demi-frère. Va le voir de ma part. Mon seul nom lui dira qu’il ne peut pas te nuire, car il n’ignore pas que je le tiens un peu.
    — Et moi, maître Sicard, me tenez-vous aussi ? dit à mi-voix Jourdain, l’air faussement léger.
    L’autre l’examina, la mine rendurcie, resta un moment sans répondre.
    — Si je ne t’aimais pas, tu ne pèserais rien, gronda-t-il enfin avec une gravité de vieux père. Tu ne ferais même pas un espion convenable. Non, je ne te tiens pas, je tiens à toi, c’est tout. Je ne veux pas te perdre.
    — Aidez-moi seulement à combattre, lui répondit Jourdain. C’est pour cela que je suis venu à Toulouse. Je ne veux rien d’autre que servir dans la troupe du comte Raymond, et rien d’autre de vous que quelques jours d’asile, le temps de rencontrer ceux qui voudront de moi. D’Alfaro en effet peut être un homme utile.
    — D’Alfaro est un diable. Apprends donc, jeune fou, à flairer tes semblables. Il se jouera de toi si je te laisse seul.
    « Pourquoi ferait-il cela, pensa Jourdain, pour quel plaisir, ou quel profit ? Et ce vieux papelard, pourquoi me regarde-t-il ainsi ? Qu’ai-je donc de si pitoyable, sacredieu ? Ces gens me sont décidément trop étrangers. Ils ne suivent pas des routes droites, s’opposent sans combattre et biaisent et feintent et jouent avec des mots masqués. Dieu me garde d’entrer dans leurs machinations. » Il entendit Sicard lui dire doucement :
    — Tu m’estimes retors, n’est-ce pas ?
    — Assurément vous l’êtes.
    — Hé ! c’est ma seule force !
    — Pardonnez-moi, je ne vous savais pas d’un cynisme si rude.
    Maître Sicard gloussa, eut dans l’œil un éclat d’espièglerie finaude, puis soudain s’assombrit et dit paisiblement :
    — La force, d’où qu’elle vienne,

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