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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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chercher leur monture. Ils y trouvèrent l’enfant. Il s’était enfoncé jusqu’aux épaules dans un tas de foin et de là guettait le dehors, le visage tendu, les yeux étincelants. Comme ils passaient près de lui, ils virent que son poing à demi dissimulé sous l’herbe sèche tenait un coutelas de boucherie aussi long que son bras. Jourdain lui demanda ce qu’il comptait faire de son arme. Le garçon répondit :
    — Tuer, messire, venger ma bonne mère. On m’a dit que l’heure était venue.
    Jeanne se pencha sur lui, s’enquit doucement de cette femme qui semblait consumer son âme chétive. Il l’écarta nerveusement de la lumière de la porte et sans cesser d’examiner la cour il lui dit avec une fierté sauvage qu’elle était morte en pèlerinage où les clercs de Pamiers autant que ce peureux qui prétendait être son père l’avaient forcée d’aller. La voix du gros homme retentit au seuil de l’auberge. L’enfant aussitôt s’enfuit au fond de l’écurie et par une brèche au bas du mur il se glissa dans un buisson touffu.
    Dès la barrière franchie les voyageurs virent l’aubergiste au milieu du chemin chercher et appeler, l’air tout désemparé, tournant partout la tête. Ils le laissèrent derrière eux à crier sa rage désolée dans la chaleur du jour qui faisait grincer les insectes, et bientôt s’enfoncèrent entre les façades ombreuses d’une longue ruelle où n’étaient que de vieilles gens rencoignés sous des porches, des femmes à peine aperçues entre deux portes, et de rares dévalements de garçons vers le jour vif de la place.
     
    Tandis qu’ils s’avançaient sous des guirlandes de linges et les galeries de bois qui joignaient les maisons, de cette lumière au bout de la rue leur parvint la rumeur de plus en plus sonore d’une voix à la musique haute, aux trébuchements brusques, aux envols si joyeux et exaltés qu’ils soulevaient à leur suite d’amples houles et bruissements d’assemblée. Au débouché de l’étroite chaussée leur apparut le peuple partout remuant et pressé jusque sur les charpentes des auvents qui entouraient l’esplanade et les branches du chêne au centre de la foule. Là, parmi les feuillages, étaient assis des enfants aux pieds nus. D’autres au-dessous d’eux grimpés sur la margelle du puits se tenaient aux arceaux pour mieux entendre et voir l’homme qui leur parlait, planté droit, devant le portail de l’église, sur le socle ensoleillé d’une croix de pierre. C’était un parfait de longue et maigre taille. À peine avait-il vingt ans. Sa robe noire aux manches troussées jusqu’aux coudes était élimée, poussiéreuse, alourdie de vastes poches, sa figure était radieuse, ses mains étrangement agiles lui échappaient sans cesse pour voleter dans l’air et se tendre aux visages, aux poings levés, aux piques, aux bâtons brandis. Jourdain se tourna vers Jeanne. Il lui dit :
    — C’est Pons Bayle.
    Elle le reconnut aussi. Il était, l’an passé, un jour de fin d’automne, venu à Montségur. Tous deux se souvenaient l’avoir vu, à peine entré dans le château, ouvrir ses bras aux gens, nobles autant que pauvres, comme s’il retrouvait de vieilles connaissances, et se réjouir de tout ce qui l’environnait malgré ses pieds en sang et sa figure hâve et son corps décharné par un jeûne si long qu’il n’avait su en dire la durée. Bernard Marti lui avait offert l’hospitalité, le temps que s’effacent les cernes qui enfiévraient ses yeux. Pons lui avait répondu avec une véhémence jubilante qu’il était le cheval de Dieu, qu’il n’éprouvait jamais de fatigue et que si son maître céleste lui commandait de se rendre sur l’heure au-delà de la mer chez les bêtes sauvages il y courrait aussitôt. De ces paroles à peine dites il avait ri à grands éclats. Bernard en était resté fort perplexe. Le jeune fou s’en était allé le lendemain sans saluer personne, après une journée passée sur le chemin de ronde à suivre du regard les traversées d’oiseaux dans le ciel tourmenté.
     
    On ne l’avait jamais revu. Et là, sur ce bord de croix baignée de lumière, il était tel que Jeanne et Jourdain l’avaient connu, semblablement content et décavé, volubile et nerveux, infatigable et frêle, violent et aérien, comme si le sel du temps qui tout ronge avait épargné cet être que la mort semblait partout accompagner sans qu’il daigne la voir, sauf pour rire avec

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