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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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en fut tout à coup tant inquiet qu’il en oublia sur l’instant les sauvageries feutrées, chausse-trappes et menaces brumeuses que les discours de son vieux cousin avaient partout désignées autour de lui.
    Il se retourna vers la salle où Sicard et Peignon, l’un tonnant et l’autre fuyant autour de récritoire, semblaient jouer avec un entrain saugrenu une vieille comédie de ménage. Il demanda au valet où était partie la jeune femme avec qui il était venu. L’autre sursauta, comme pris en flagrant délit de négligence, et répondit qu’il l’avait conduite chez un tisserand de sa connaissance qui tenait boutique rue des Paradoux.
    — Elle me l’a demandé comme un service urgent et n’a pas voulu que je vous prévienne, dit-il, tout pleurnichard. Par pitié, messire cousin, ne me disputez pas. Je peux si vous voulez la ramener sur l’heure.
    Sicard le poussa aux cuisines et d’un mot sans appel décida que la donzelle avait agi comme il fallait. Jourdain s’approcha lentement du feu, l’âme vide et plus seul tout à coup qu’au cœur des lointaines nuits du désert. Comme il renâclait contre cette froidure qui l’envahissait, une lueur lui vint en tête. Il lui apparut que Jeanne, depuis qu’ils s’en étaient allés ensemble, avait sans cesse été à son côté aussi précieuse qu’une gardienne nourricière. Il s’en trouva déconcerté, se demanda sur quel imperceptible trésor elle avait ainsi veillé. Un court moment il goûta la saveur d’une confiance insouciante qu’il avait quelquefois sentie germer dans l’obscurité de son esprit, tandis qu’ils voyageaient. Il se souvint qu’il avait voulu se défaire d’elle. Une bouffée de joie échauffa sa poitrine, fugace, vite éteinte. Il pensa : « La fatigue seule me fait bancal, point l’absence de cette fille. » Il n’osa la nommer, même dans son silence.
     
    Après qu’ils eurent dîné, Sicard Lalleman dit à Jourdain qu’il lui avait fait préparer un logis hors de sa maison, où il ne désirait pas qu’il revienne. Ils convinrent que Peignon tous les jours irait prendre de ses nouvelles et lui porter les informations que le consul jugerait utiles à sa sauvegarde. Ils s’étreignirent longuement sur le pas de la porte, tandis que le valet battait la semelle dans la ruelle, tenant d’une main le cheval par la bride et de l’autre une torche haut levée. À l’instant de se séparer, Sicard retint son cousin par la manche et murmura contre sa joue, avec une sorte de tristesse franche et sévère :
    — Je souhaite de tout cœur trépasser avant toi.
    Puis, d’un geste brusque de la main, il le chassa.
    Comme il cheminait avec Peignon par les rues désertes, Jourdain voulut savoir dans quelle humeur exacte Jeanne avait quitté la cour où il lui avait demandé de l’attendre. L’autre lui répondit qu’elle lui avait paru un peu mélancolique, mais qu’ils avaient cependant ri ensemble à suivre, chemin faisant, une bande d’enfants au cul nu qui chevauchaient des porcs. Avant qu’il ne la quitte, pensant assurément à « messire cousin », la jeune femme lui avait dit : « À la grâce de Dieu. » Peignon répéta trois fois ces mots avec une emphase croissante, comme s’il se fut agi de quelque énigme prophétique. Les paroles du valet rassurèrent Jourdain. Jeanne ne l’avait pas fui, mais s’était sans doute souciée de ne point demeurer à sa charge. Il décida d’aller, dès le prochain matin, la visiter à son travail.
    Passé les deux tours obscures qui gardaient l’entrée du Pont-Neuf ils s’engagèrent au-dessus de l’eau où s’enchevêtraient étroitement des échoppes de bois mêlées de tourelles et de galeries traversières. Entre un petit oratoire orné d’un saint grossièrement sculpté et la haute maison d’un marchand de vin, ils firent halte devant une boutique de parcheminier dont l’enseigne écaillée chantonnait sous la brise comme un oiseau plaintif. La porte poussée d’un coup d’épaule grinça pis qu’un guichet de l’enfer.
    Ce lieu où n’habitait depuis longtemps personne empestait le moisi. Tandis que Peignon déposait sur la longue table une dizaine de chandelles, Jourdain ouvrit le volet de la lucarne, huma le vent piquant du fleuve, puis s’en fut grimper à l’échelle qui menait à des combles sommaires. Comme il découvrait ce grenier à la charpente basse où n’étaient qu’un lit de paille et une cruche, le bonhomme lui dit

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