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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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avaient alors sur l’heure rejoint le moribond à l’hospice Saint-Jean, point pour le confesser ni pour lui accorder l’onction des saintes huiles, mais au contraire pour veiller à ce que nul ne le console.
     
    Les gens d’Église en vérité le haïssaient beaucoup. Acharnées, quoique toujours sournoises, avaient été leurs fâcheries et leurs batailles. Au cours des années passées, Raymond n’avait cessé de rogner leurs domaines. Les prélats du pays s’en étaient plaints auprès du pape comme des chiens teigneux dépouillés de leur proie. Es l’avaient accusé d’hérésie persistante. Ils n’avaient qu’à demi menti. Le comte fréquentait des parfaits (deux d’entre eux étaient chez lui nourris et logés à demeure, chacun à Toulouse savait cela), mais il était fidèle aux messes quotidiennes et jurait ses grands dieux, à tout bout de dispute, qu’il ne voulait rien plus qu’arracher du pays la mauvaise croyance. Cependant il n’en avait jamais rien fait. L’évêque s’en était peu à peu tant enragé qu’il avait fulminé contre lui l’excommunication majeure pour crime d’indulgence envers les hérétiques. Raymond le sixième ne s’en était guère soucié, jusqu’à ce dernier jour et à cette dernière heure où ces dignitaires inévitables et détestés, pareils à des juges infernaux, s’étaient réunis autour de sa couche.
     
    Il leur avait tendu les mains et demandé pardon avec humilité. Ils étaient restés raides, bilieux, la bouche close. Il avait supplié qu’on veuille bien l’entendre en confession. Nul ne s’était penché sur lui. Il avait imploré secours, au nom du Christ. Les hautes figures l’avaient regardé, impassibles. Alors le prieur des hospitaliers s’était avancé du fond de la salle. Entre deux épaules presque jointes il avait jeté sur le corps mourant une robe de l’ordre. Deux moines de la suite des clercs inquisiteurs avaient aussitôt voulu la lui arracher, mais les yeux grands ouverts et les poings fermes le comte avait tenu sur sa poitrine ce vêtement d’ami de Dieu. Il était mort ainsi. On avait interdit qu’il fût porté en terre, et sans prière ni cérémonie on l’avait descendu dans cette crypte où il était encore.
     
    Jourdain avait appris l’événement par l’effrayant récit nourri d’indignations tremblantes que maître Sicard Lalleman, dès le lendemain de ce jour, était venu faire dans la grande salle du Villar en présence de l’entière maisonnée. Après ce sombre soir, l’adolescent qu’il était en ce temps s’était trouvé durablement hanté par des faces de monstres. Sans doute parce qu’il ne les avait jamais fuis, quels que fussent ses effrois, ces démons l’avaient aidé à se défaire des mollesses et des incertitudes du jeune âge. Son père, lui, s’était enfermé dans sa chambre et de trois jours et nuits n’avait bu ni mangé. Puis il n’avait songé qu’à venger l’injure faite à ce seigneur qu’il avait servi et grandement aimé, mais nul dans le pays n’avait osé hausser la voix. Il n’avait pu que remâcher des rognes taciturnes que les années passant n’avaient jamais éteintes.
     
    Comme il allait et venait, le pas accordé à celui de son compagnon dans l’ombre de la longue bâtisse, Jourdain s’échauffa au souvenir de ces combats secrets où s’était affermie son âme, et des peines honteuses qu’il avait éprouvées aux colères impuissantes de son père. Il pensa que décidément le temps était venu d’une insurrection définitive contre les pesanteurs dont il se sentait tout à coup plus que jamais accablé, tandis que l’assaillaient les peurs des jours anciens étrangement mêlées aux bouffées noires de la nuit d’Avignonet. Il dit à d’Alfaro qu’il comprenait les maux dont souffrait monseigneur Raymond et qu’il désirait, pour le servir, s’engager dans les milices toulousaines. L’autre lui répondit, les pommettes rougies, riant malaisément :
    — Que voilà une demande surprenante, mon bon ami ! Savez-vous que vous m’effrayez ? Je crains fort que vous ne soyez trop pur pour les brigands subtils qui règnent sur nos têtes.
    Il paraissait troublé. Jourdain s’en étonna. Il prit son souffle pour parler. Aucun mot ne lui vint. À l’angle ensoleillé de la façade d’Alfaro s’arrêta, se tourna vers lui et dit encore :
    — Vous ne pouvez vous mélanger aux pauvres gens des milices. Vous êtes chevalier, que

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