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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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manœuvraient des bateliers armés de longues perches. Des hommes sur des pontons branlants leur lançaient des cordages, à l’écart du chemin de rive où se pressaient en foule chariots et portefaix, ânes et lavandières, soldats en baguenaude et crieurs affairés. Cette foison de vie dans la transparence dorée du matin l’éveilla tout à fait, lui remua le cœur et l’échauffa d’envie de se frotter au puissant désordre du monde. Il résolut d’aller visiter d’Alfaro. « Il ne me nuira pas, quoi qu’en dise Sicard, pensa-t-il dans sa vigueur nouvelle. Nous avons tous les deux trempé nos bottes dans le même sang. S’il me perd, il se perd. Que dans l’armée du comte il me trouve une place, voilà ce que je veux. Et si notre bonne fortune nous conduit jusqu’à la délivrance de ces gens de Garonne, de ces clochers, de ces terres où va le fleuve, sacredieu, le soir même de notre victoire j’offrirai au Villar la plus belle fête de retrouvailles qui fût jamais donnée. » L’enfant que portait sa compagne lui revint soudain à l’esprit. « Il me faudra réchapper des batailles », se dit-il encore, tout renâclant contre le bonheur ingénu et turbulent qui le remuait. Il entendit grincer derrière lui la porte.
    Il quitta les lointains, s’en revint au dedans où Jeanne, essoufflée, posait sur la table un seau débordant d’eau et une boule de pain. Il la découvrit rayonnante comme une épousée dans sa maison nouvelle, impatiente de vaquer aux soins domestiques, et dans son désir de servir son homme ordonnant, l’œil aigu, toute chose autour d’elle. Il se sentit vaguement entravé par cet empressement ménager. Le voyant assombri elle pensa, inquiète : « Seigneur Dieu, qu’ai-je fait pour le mécontenter ? » Elle vint se serrer contre sa haute taille. Il lui baisa le front, puis il la repoussa avec une douceur contrainte, s’en fut au seau d’eau claire, s’aspergea la figure, se trancha du pain frais et sortit sans un mot.
    Parmi la foule qui peuplait les ruelles, les badauds alentour des croix de carrefours où jonglaient et chantaient des mendiants saltimbanques, les femmes couronnées de cruches vertes qui cheminaient, furtives, le long des murailles aveugles, il s’en fut jusqu’au quartier Saint-Étienne où était l’hôtel de Jacques d’Alfaro. La mine circonspecte et le pas ralenti il franchit le portail et s’aventura dans la cour où scintillait une fontaine ronde. Le lieu était apaisant comme un cloître d’abbaye fortunée. Deux sergents devisaient, assis contre le mur de la galerie large ornée de colonnades qui entourait l’espace obliquement tranché de soleil franc et d’ombre. Tandis que prudemment il s’avançait vers eux, un brusque bruit de voix et de portes battues résonna dans la pénombre de la demeure. Presque aussitôt d’Alfaro apparut à la porte avec un bel éphèbe à la mine arrogante. Occupé qu’il était à parler à cet adolescent, il ne remarqua point, d’abord, son visiteur. Jourdain fit halte au bord de la fontaine et le regarda, silencieux et revêche, attendant d’être vu. Tandis que le seigneur du lieu franchissait le pas de lumière vive qui éblouissait le pavement, il lui parut aussi peu redoutable que le plus évanescent des diables, si diable il était. Ses coups de tête d’oiseau et sa manie de renfoncer sans cesse ses bagues à ses doigts gantés étaient d’un être à l’âme indécise. Les deux sergents dressés d’un bond accoururent vers ce maître impatient et si bien vêtu qu’il semblait sortir d’un livre d’heures. D’Alfaro esquissa un pas à leur rencontre. Alors il aperçut cet homme grand qui l’observait. Il resta médusé, puis soudain s’assouplit, tint à l’écart ses gens, d’un geste mesuré, s’approcha de lui. À deux enjambées il s’arrêta, haussa autant qu’il put son visage et dit suavement, un sourire amusé dans ses yeux demi-clos :
    — Par Dieu, voilà bien la visite la plus inattendue qui soit.
    — Je ne veux pas troubler votre tranquillité, monseigneur, lui répondit Jourdain. Je suis venu vous demander simple assistance dans une démarche que je veux entreprendre.
    L’autre l’examina avec une méfiance fort affûtée, quoique distante, puis se laissant aller négligemment à rire :
    — Vous m’offensez, messire du Villar. Un grand seigneur ne rend que grands services. Demandez-moi donc l’impossible, et certes je vous écouterai.
    Et

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