L'hérétique
il m’a
laissé partir. Nous sommes restés à Astarac pour devenir les métayers de
l’abbaye. Ce n’était qu’une petite ferme, mais les autres villageois ne
m’aimaient pas. La famille de ma femme aurait voulu la marier à quelqu’un
d’autre. Ils disaient que je n’étais bon à rien. Après sa mort, ils sont venus
pour me brûler. J’en ai tué un avec une houe et ils ont prétendu que c’était
moi qui avais attaqué le premier. Alors ils m’ont traité d’assassin, et c’est
pour ça que je suis ici. C’était soit ça, soit la pendaison à Bérat.
Un petit torrent bondissant descendait de la montagne. Il le
fit traverser au cheval qui portait son fils.
— C’est la roue du destin, n’est-ce pas ? Ça va,
ça vient, ça monte, ça descend… Enfin, moi j’ai plus été en bas qu’en haut. Et
Destral va m’engueuler.
— Qui est Destral ?
— Notre chef. Destral, ça veut dire
« hache ». C’est avec ça qu’il tue.
— Il n’était pas ici ?
— Non, il m’a envoyé voir ce qui se passe à Astarac,
dit Philin. Il paraît que des hommes ont creusé dans le vieux château. Destral
pense qu’il y a un trésor.
Le Graal, s’enflamma Thomas, le Graal. Presque aussitôt, il
se demanda si la coupe avait été découverte. Mais il écarta immédiatement cette
pensée car il était évident que si tel avait été le cas, la nouvelle se serait
répandue dans la campagne à la vitesse de l’éclair.
— Nous n’avons pas eu le temps d’atteindre Astarac,
poursuivit Philin. Nous avons campé dans le bois au-dessus, et nous étions sur
le point d’en sortir quand nous vous avons vus.
— Et vous avez cru votre fortune faite ?
— On nous aurait donné quarante pièces pour votre
capture, confessa Philin, toutes en or.
— Dix de plus que Judas, ironisa Thomas d’un ton
espiègle, et les siennes n’étaient que des deniers d’argent.
Le coredor lui fit la grâce de sourire.
Ils atteignirent le monastère juste après midi. Un vent
froid soufflait du nord par rafales, poussant la fumée de la cuisine au-dessus
de la porte de l’abbaye. Ses odeurs torturaient leurs estomacs affamés.
À l’entrée, deux moines les accostèrent. D’un simple
hochement de tête, ils autorisèrent Philin à emmener son fils à l’infirmerie.
En revanche, les deux cisterciens barrèrent la route à l’Anglais.
— Elle a besoin d’aide, insista le jeune homme en
colère.
— C’est une femme, répondit l’un des deux religieux.
Elle ne peut pénétrer ici.
— Il y a un endroit à l’arrière, précisa quand même
l’autre, faisant preuve de compassion.
Ramenant sa capuche sur sa tête, il précéda Thomas pour lui
indiquer le chemin. Ils contournèrent les bâtiments et traversèrent une
oliveraie. Là, une haute palissade de pieux entourait un groupe de huttes de
bois.
— Frère Clément va vous recevoir, indiqua le moine
avant de s’éloigner rapidement.
Thomas accrocha les deux chevaux à un olivier, puis il porta
Geneviève jusqu’à la porte de l’enceinte. Les mains prises, il donna un grand
coup de botte dans le vantail. Voyant que rien ne se passait, il attendit, puis
donna un nouveau coup de pied. Enfin, la porte s’ouvrit en craquant et un petit
moine en robe blanche apparut. Le visage ridé sous une barbe rebelle sourit au
visiteur.
— Frère Clément ?
Le moine se contenta d’acquiescer silencieusement de la
tête.
— Elle a besoin d’aide, indiqua l’archer.
Sans un mot, le frère fit un geste de la main pour l’inviter
à entrer. Thomas porta Geneviève à l’intérieur de ce qui lui sembla être de prime
abord une cour de ferme. Il y régnait la même odeur, bien qu’il ne vît aucun
tas de fumier, et les bâtiments de chaume ressemblaient à de petites granges et
à des étables. Puis il remarqua toutes les personnes en robe grise assises
devant leurs portes. Elles le regardaient fixement. La nouvelle de leur arrivée
se répandit comme un feu de broussailles. De nouveaux visages apparaissaient
aux fenêtres. D’abord, il crut qu’il s’agissait de moines. Mais il nota la
présence de femmes parmi les silhouettes en robe. Prenant soudain conscience
d’un détail qu’il avait négligé en entrant, Thomas se retourna brusquement vers
la porte. Des cliquettes étaient empilées sur une petite table. C’étaient des
morceaux de bois rattachés à la poignée par une bande de cuir. Si la poignée
était agitée, les
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