L'hérétique
la
côte de votre Geneviève. Mais frère Clément m’a prévenu qu’il était très
difficile de ressouder des côtes.
— Frère Clément vous a parlé ? s’étonna Thomas.
— Oh non, hélas ! Le pauvre ne peut absolument pas
parler. Il a été esclave sur une galère, jadis. Les mahométans l’ont capturé au
cours d’un raid sur Livourne, je pense, ou sur la Sicile, je ne suis plus très
sûr. Ils lui ont arraché la langue. Probablement, j’imagine, parce qu’il a dû
les insulter. Ensuite ils lui ont tranché… autre chose, ce qui est, à mon sens,
la raison pour laquelle il s’est fait moine après avoir été récupéré par une
galère vénitienne. Maintenant, il s’occupe des ruches et des lépreux. Mais vous
vous demandez comment nous communiquons ? Eh bien, il fait des signes, des
gestes, et il dessine dans la poussière. Et finalement, nous parvenons à nous
comprendre.
— Alors, qu’allez-vous faire de nous ?
— Faire ? Moi ? Je ne vais rien faire. Si ce
n’est prier pour vous et vous dire adieu quand vous partirez. En revanche,
j’aimerais savoir pourquoi vous êtes ici.
— Parce que j’ai été excommunié, répondit tristement
Thomas. Mes compagnons ne voulaient plus rien avoir à faire avec moi.
— Je voulais dire : pourquoi êtes-vous venu en
Gascogne ? précisa Planchard patiemment.
— Le comte de Northampton m’a envoyé.
— Je vois.
Thomas avait éludé la question et, au ton de sa voix, l’abbé
soulignait bien qu’il n’était pas dupe.
— Et le comte a ses raisons, n’est-ce pas ?
Cette fois, Thomas ne répondit pas. Apercevant Philin de
l’autre côté du cloître, il leva la main pour le saluer. Le coredor lui
sourit. Son air serein laissait supposer que son fils, comme Geneviève, était
en train de récupérer de sa blessure.
Planchard insista.
— Le comte a des raisons, Thomas ?
— Castillon d’Arbizon était jadis sa propriété. Il
voulait la récupérer.
— Ce fut sa propriété pour un temps très bref, répondit
l’abbé d’un ton acerbe. J’ai du mal à imaginer qu’il soit dans un tel manque de
terres qu’il ait besoin d’envoyer des hommes défendre une ville insignifiante
de Gascogne, surtout après qu’une trêve eut été signée à Calais. S’il a pu
prendre le risque de briser cette trêve en vous envoyant, c’est qu’il devait
avoir un motif très particulier, ne crois-tu pas ?
Il s’interrompit, attendit une réponse, puis sourit devant
l’entêtement de Thomas.
— Connais-tu ce psaume qui commence par « Dominus
reget me » ? le questionna-t-il en passant insensiblement au
tutoiement.
— Un peu, répondit évasivement l’archer.
— Alors tu connais peut-être ces mots : « Calix
meus inebrians » ?
— « Ma coupe me rend ivre », traduisit
l’Anglais sans sourciller.
— Tu as dû remarquer que j’ai regardé ton arc ce matin,
Thomas, sans raison, poussé par une simple curiosité. On entend tellement
parler de ces fameux arcs de combat anglais ! Cela faisait des années que
je n’en avais pas vu, surtout de près. Or j’ai noté que le tien possédait
quelque chose que la plupart des autres n’ont pas, je pense. Une petite plaque
d’argent. Et sur la plaque, jeune homme, j’ai reconnu le blason des Vexille.
— Mon père était un Vexille.
— Donc tu es de noble naissance.
— De naissance bâtarde, plutôt. C’était un prêtre.
— Un prêtre ? Ton père ?
Planchard manifestait un étonnement sincère.
— Oui, un prêtre, confirma Thomas. En Angleterre.
— J’ai ouï dire effectivement que des Vexille y avaient
fui, mais il y a de cela de très nombreuses années. Bien avant même ma
naissance. Alors pourquoi un Vexille d’Angleterre revient-il à Astarac ?
Encore une fois, Thomas se mura dans son silence. Autour
d’eux, les moines se rendaient au travail. Portant des houes ou des pieux, ils
gagnaient la porte de l’abbaye.
— Où ont-ils emmené le comte défunt ? demanda le
laïc en essayant d’éluder la question du frère abbé.
— À Bérat, naturellement, pour y être enterré avec ses
ancêtres. Mais je crains que son corps n’empeste avant même d’arriver à la
cathédrale. Je me rappelle quand son père a été inhumé : la puanteur était
si effroyable que la plupart des présents se sont précipités au-dehors. Mais
quelle était ma question ? Ah oui : pourquoi un Vexille d’Angleterre
revient-il à
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