L'hérétique
Astarac ?
— Pourquoi pas ?
Toujours un petit sourire bienveillant aux lèvres, Planchard
se leva et fit signe à son jeune interlocuteur de le suivre.
— Laisse-moi te montrer quelque chose, Thomas…
Il l’entraîna vers l’église. À l’entrée, le moine plongea
ses doigts dans le bénitier, puis, face au maître-autel, il fit une génuflexion
en se signant. Quasiment pour la première fois de sa vie, Thomas n’observa pas
ce même rituel. Les vieilles pratiques n’avaient plus de valeur pour lui,
maintenant, puisqu’il avait été exclu de la communauté des fidèles. Il suivit
le moine dans la grande nef vide de tout mobilier, jusqu’à un renfoncement
derrière un autel latéral. Là, Planchard introduisit une grosse clé dans une
porte étroite, qu’il poussa.
— Il va faire sombre en bas, avertit le vieillard, et
je n’ai pas de lanterne. Alors fais attention en descendant.
Une lumière timide parvenait quand même à s’immiscer sur les
marches. Quand Thomas arriva en bas, l’abbé leva la main.
— Attends ici, ordonna-t-il. Je vais te rapporter
quelque chose. Il fait trop noir là-bas pour voir ce qu’il y a dans le trésor.
Le jeune homme obéit et attendit sagement. Progressivement,
ses yeux s’accoutumèrent à la pénombre. Il constata qu’il y avait huit
dégagements voûtés dans la cave. Puis il comprit qu’il ne s’agissait pas
seulement d’un caveau, mais d’un ossuaire. Sous l’emprise d’une soudaine
horreur, il esquissa un pas en arrière. Du sol au plafond, les arches étaient
envahies d’os empilés. Les yeux vides des crânes le fixaient. À l’extrémité
est, l’un des renfoncements n’était qu’à moitié plein. Les emplacements libres
attendaient les moines qui priaient quotidiennement au-dessus dans l’église. La
chambre des morts, le caveau des trépassés, l’antichambre du ciel.
À l’autre bout du caveau, dans sa partie la plus sombre, il
entendit le cliquetis d’une clé tournant dans une serrure, puis les pas de
l’abbé revenant vers lui. La silhouette de Planchard sortit de la pénombre et
le vieillard lui tendit une boîte de bois.
— Approche-la de la lumière et regarde-la bien. Le
comte a essayé de me la voler. Mais quand il est revenu ici avec la fièvre, je
la lui ai reprise. Peux-tu la voir correctement ?
Thomas s’approcha des marches et tint la boîte dans la
faible lumière de l’escalier. Il constata tout de suite que l’objet était
ancien. Son bois avait séché et il avait jadis été peint, tant à l’extérieur
qu’à l’intérieur. Mais alors, le cœur trépidant, il reconnut sur la façade
avant les vestiges de mots qu’il ne connaissait que trop bien, ceux qui le
hantaient depuis la mort de son père ; Calix meus inebrians.
L’abbé reprit le coffret des mains de Thomas.
— On dit que cette boîte fut trouvée dans un reliquaire
précieux sur l’autel de la chapelle du château des Vexille. Mais elle était
vide quand on l’a découverte, Thomas. Tu comprends ça ?
— Elle était vide, répéta l’archer.
— Je crois savoir ce qui peut amener un Vexille à
Astarac, mais il n’y a rien ici pour toi, Thomas, rien du tout. La boîte était
vide.
L’abbé rapporta l’objet dans le grand coffre lourd qu’il
referma à clé. Puis il reconduisit Thomas vers l’église et la lumière. Après
avoir cadenassé la porte de la crypte, il fit signe au jeune homme de s’asseoir
avec lui sur le rebord de pierre qui courait tout autour de la nef vide.
— Il n’y avait rien dans la boîte, insista l’abbé, mais
il ne fait aucun doute que tu penses qu’elle a jadis contenu quelque chose. Et
je crois que tu es venu ici pour découvrir l’objet qui s’y est trouvé.
Thomas confirma l’hypothèse d’un hochement de tête. Il
observait deux novices balayant l’église. Leurs balais de bouleaux produisaient
des petits bruits de grattement sur les grands pavements.
— Je suis aussi venu retrouver l’homme qui a tué… qui a
assassiné mon père.
— Tu sais qui a fait ça ?
— Mon cousin : Guy Vexille. On m’a dit qu’il se
faisait appeler le comte d’Astarac.
— Et tu penses qu’il est ici ?
Planchard avait encore une fois l’air authentiquement
surpris.
— Je n’ai jamais entendu parler d’un tel homme,
ajouta-t-il.
— Je crois que s’il apprend que je suis ici il viendra.
— Et tu le tueras ?
— Je l’interrogerai. Je veux savoir pourquoi
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