L'hérétique
même ce talisman sacré ne lui avait été d’aucun secours. Âgée d’à peine
dix-sept ans, sa cinquième épouse était saine et bien en chair… mais aussi
stérile que les autres.
D’abord, le comte pensa que le vendeur de la sainte paille
avait pu le tromper. Mais son chapelain l’assura que la relique provenait du
palais des Papes en Avignon, et il montra une lettre signée par le Saint-Père
lui-même et garantissant qu’elle avait bien servi de litière à l’Enfant Christ.
Alors le vieux seigneur languedocien avait fait examiner sa dernière épouse par
quatre éminents docteurs, et ces autorités avaient décrété que ses urines
étaient claires, que les différentes parties du corps étaient en parfait état
et que son appétit était bon. Par conséquent, il en appela à son propre savoir
pour se trouver un héritier. Hippocrate avait écrit sur l’effet des images sur
la procréation. Aussi le comte ordonna-t-il à un peintre de couvrir les murs de
la chambre de sa femme de représentations de la Vierge et de son saint Fils. De
son côté, il consomma force flageolets et garda ses appartements bien au chaud.
Rien ne fonctionna. Et pourtant, ce n’était pas sa faute, il en était certain.
Il était allé jusqu’à planter des grains d’orge dans deux pots et avait arrosé
l’un des deux avec l’urine de son épouse et l’autre avec la sienne. Les deux
pots avaient finalement donné des pousses, ce qui, de l’avis même des docteurs,
prouvait que tant le comte que la comtesse étaient fertiles.
Il n’y avait donc bien qu’une explication, conclut le vieil
homme : il était maudit. De ce fait, il se tourna encore plus farouchement
vers la religion. Il savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps.
Aristote avait écrit que l’âge de soixante-dix ans était la limite de la
puissance de l’homme. Il ne lui restait donc que cinq ans pour que le miracle
survienne. Or il advint qu’un matin d’automne – même s’il ne le comprit
pas à l’époque –, il reçut une réponse à ses prières.
Des ecclésiastiques descendirent de Paris. Trois prêtres et
un moine arrivèrent ainsi à Bérat. Ils étaient porteurs d’une lettre de Louis
Bessières, cardinal-archevêque de Livourne et légat du pape à la cour de
France. La lettre était humble, respectueuse et… menaçante. Elle demandait au
comte de laisser le frère Jérôme, un jeune moine d’une formidable érudition,
examiner les archives de Bérat.
« Votre grand amour des manuscrits, tant païens que
chrétiens, écrivait le prélat dans son latin élégant, est bien connu de nous,
aussi nous vous implorons, pour l’amour du Christ et pour l’avènement de son
royaume, d’autoriser frère Jérôme à examiner vos titres et registres
officiels. »
Telle qu’elle se présentait, la requête paraissait
parfaitement cohérente. Le comte de Bérat possédait effectivement une
bibliothèque, et sa collection de manuscrits était probablement la plus
importante de toute la Gascogne, si ce n’était de toute la chrétienté du Sud.
Mais pourquoi le cardinal s’intéressait-il aux titres du château ? La
missive n’éclairait pas ce point. En revanche, le vieil érudit avait assurément
compris l’allusion menaçante à sa passion pour les ouvrages païens :
Refusez cette requête, sous-entendait le cardinal, et je lâche sur votre comté
les saints chiens dominicains et les inquisiteurs qui, sans nul doute,
découvriront que les ouvrages païens encouragent l’hérésie. Alors, les procès
et les bûchers commenceraient. Certes, ni les uns ni les autres n’affecteraient
directement le comte, mais il lui faudrait acheter des indulgences s’il ne
voulait pas voir damner son âme. L’Église avait un appétit glouton pour
l’argent, et tout un chacun savait qu’il était riche. S’il n’avait aucunement
l’intention d’offenser le légat du pape, il voulait quand même vraiment
comprendre pourquoi Son Éminence s’intéressait soudain à Bérat.
C’était pour cette raison précise qu’il avait convoqué au
château le père Roubert, le supérieur des dominicains de la ville.
Il le reçut dans la grande salle qui avait depuis longtemps
cessé d’être un lieu de fêtes et de réjouissances. Désormais, elle était plutôt
envahie d’étagères croulant sous les vieux documents tombant en poussière et
les précieux livres manuscrits enveloppés dans du cuir huilé.
Âgé d’à peine
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