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L'hérétique

L'hérétique

Titel: L'hérétique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
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trente-deux ans, le père Roubert était le fils
d’un tanneur de la ville. Il avait pu s’élever dans l’Église, grâce au soutien
et à la protection du seigneur de Bérat. Physiquement, il était très grand,
avec un visage d’une extrême sévérité et des cheveux noirs coupés si court
qu’ils rappelaient au comte les brosses à poils durs dont les armuriers se
servaient pour polir les cottes de mailles. Mais par cette belle matinée, le
père Roubert était d’humeur irascible.
    — Des affaires m’appellent à Castillon d’Arbizon
demain, gronda-t-il, et je dois partir d’ici une heure si je veux atteindre la
ville avant la tombée du jour…
    Le maître des lieux fit mine d’ignorer la rudesse de ton du
moine. Le dominicain se plaisait à traiter le comte en égal, une impudence que
le vieil homme tolérait parce que l’autre l’amusait.
    — Des affaires t’appellent à Castillon d’Arbizon ?
s’étonna-t-il avant de se rappeler soudain : Évidemment, où avais-je la
tête ? Tu dois aller brûler la bégharde [9] n’est-ce pas ?
    — Demain matin.
    — Elle brûlera avec ou sans toi, maugréa le comte, et
le diable emportera son âme, que tu sois là pour profiter du spectacle ou
pas !
    Il fixa un regard intense sur le moine.
    — À moins que tu n’aimes regarder brûler les femmes,
bien sûr ?
    — C’est mon devoir, répondit froidement le père
Roubert.
    — Ah oui, ton devoir… Naturellement. Ton devoir.
    Le comte regarda l’échiquier sur la table en fronçant les
sourcils. Oubliant quelques secondes la conversation, il se demanda s’il devait
avancer un pion ou reculer son évêque [10] . Bérat était un homme trapu,
grassouillet même, avec un visage rond et une barbe bien taillée. D’ordinaire,
il portait un bonnet de laine sur son crâne nu et, même en été, on le croisait
rarement sans une robe à bordure de fourrure. Avec les taches d’encre qui
maculaient constamment ses doigts, il ressemblait davantage à un clerc
surchargé de travail qu’au seigneur d’un grand domaine.
    — Mais tu as aussi un devoir envers moi, Roubert,
s’emporta-t-il en tançant le dominicain, et le voici !
    Il tendit au moine la lettre du cardinal-archevêque et ne le
quitta pas des yeux tout au long de sa lecture.
    — Son latin est élégant, n’est-ce pas ? remarqua
le comte.
    — Il a recours à un secrétaire qui, lui, est
parfaitement instruit, rétorqua sèchement Roubert.
    Puis il examina le grand sceau rouge pour s’assurer de l’authenticité
du document.
    — On dit que le cardinal Bessières est considéré comme
un successeur possible du Saint-Père, ajouta-t-il d’un ton soudain respectueux.
    — C’est donc un homme qu’il s’agit de ne point
offenser, n’est-ce pas ?
    — On ne devrait jamais offenser le moindre
ecclésiastique, répondit brutalement le dominicain.
    — Certes, certes. Et moins encore celui qui pourrait
devenir pape, insista le comte. Mais que veut-il vraiment ici ?
    Le père Roubert se dirigea vers une fenêtre fermée. Le lacis
de plomb supportait de petits carreaux grattés à la corne qui ne laissaient
pénétrer dans la pièce qu’une lumière diffuse, mais qui arrêtaient la pluie,
les oiseaux et les vents froids de l’hiver. Il souleva le panneau, respira
l’air du dehors. À cette hauteur, dans l’enceinte du château, il était
merveilleusement épargné par les puanteurs des latrines qui empoisonnaient la
ville basse. C’était l’automne. On sentait flotter la subtile fragrance des
raisins pressés. Roubert aimait ce parfum. Il se retourna vers le comte.
    — Le moine est déjà ici ?
    — Il se repose dans une chambre d’hôte, répondit Bérat.
C’est un jeune moine, très nerveux. Il s’est incliné devant moi très
correctement, mais il a refusé de me dire ce que voulait le cardinal.
    Un grand fracas retentit dans la cour, juste en dessous. Le
religieux retourna à la fenêtre voir ce qui se passait. Il dut se pencher
beaucoup, car même à cette hauteur, à quarante pieds du sol, les murs en
faisaient encore près de cinq d’épaisseur. Un cavalier en grande armure venait
de charger la quintaine installée dans la cour et sa lance avait frappé si fort
l’écu de bois du mannequin que tout le dispositif s’était effondré.
    — Votre neveu s’amuse, indiqua Roubert en se
redressant.
    — Mon neveu et ses amis s’entraînent, corrigea le
comte.
    — Il ferait mieux de s’occuper de son

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