L'hérétique
les vieux comtes d’Astarac. Ils étaient
puissants, jadis. De grands seigneurs régnant sur de vastes territoires. Mais
la famille avait été mêlée à l’hérésie cathare et quand l’Église avait extirpé
par le fer et surtout le feu cette peste du pays, la famille Vexille s’était
réfugiée dans sa dernière place forte, le château d’Astarac. Et là, ils avaient
été vaincus. La plupart d’entre eux s’étaient fait tuer, mais certains avaient
pu s’enfuir. Quelques-uns étaient même parvenus jusqu’en Angleterre, le comte
le savait. Quant au domaine ruiné d’Astarac, antre des corbeaux et des renards,
il avait été absorbé dans le fief de Bérat. Mais une légende tenace restait
attachée aux ruines du château : la garde des hypothétiques trésors
fabuleux des cathares aurait jadis été confiée aux Vexille. Parmi ces trésors
inestimables, il y aurait eu le Saint-Graal lui-même. Naturellement, si le père
Roubert n’avait pas fait mention des dernières histoires courant sur le sujet,
sa motivation ne faisait aucun doute : il espérait dénicher le Graal avant
quiconque. Le comte de Bérat pouvait aisément le lui pardonner. Il regarda de
l’autre côté de la grande salle.
— Ainsi, tu crois que le cardinal-archevêque s’imagine
pouvoir découvrir le Graal au milieu de tout ça ?
Il agitait le bras en désignant ses livres et ses papiers.
— Louis Bessières est un homme avide, violent et ambitieux,
considéra le dominicain. Il serait capable de retourner la Terre entière pour
trouver le Graal.
Et soudain, pour le comte, tout s’éclaira. Il comprit le
schéma qui gouvernait sa propre vie.
— Il existe une histoire, je ne crois pas me tromper,
songea-t-il à haute voix, selon laquelle le gardien du Graal serait maudit
jusqu’à ce qu’il remette la coupe à Dieu lui-même, n’est-ce pas ?
— Des fables ! se moqua le père Roubert.
— Mais si le Graal est ici, Roubert, et même s’il est
caché sans que j’aie connaissance de son emplacement exact, alors j’en suis le
gardien.
— Des « si », railla encore une fois le
religieux.
— Non, Dieu m’a maudit, c’est évident, s’exclama le
comte dans une sorte d’illumination, parce que, tout en l’ignorant, j’ai détenu
ce trésor et je ne lui ai pas accordé la valeur qui était la sienne !
Il secoua la tête.
— Oui, Il m’a empêché d’avoir un héritier parce que je
L’ai empêché, moi, de récupérer la coupe de Son propre fils !
Il jeta un regard étonnamment dur sur le jeune moine.
— Est-ce que le Graal existe, Roubert ?
Le frère hésita, puis acquiesça, avec quelque
réticence :
— C’est possible.
— Alors nous ferions mieux de donner l’autorisation au
moine d’examiner tout ce qu’il veut, mais nous devons aussi nous assurer de trouver
avant lui ce qu’il cherche. Tu vas étudier le premier tous ces titres et
registres, Roubert, et ne transmettre au frère Jérôme que les documents qui ne
mentionnent ni trésors, ni reliques, ni… Graal. Tu me comprends ?
— Je vais demander à mon supérieur la permission
d’effectuer cette tâche, répondit froidement le moine.
— Tu ne vas rien faire d’autre que chercher le
Graal !
Le comte venait d’écraser violemment sa main sur le bras de
son fauteuil.
— Et tu vas commencer immédiatement, Roubert, pour ne
t’arrêter que lorsque tu auras lu tous les parchemins se trouvant sur ces
rayonnages. Ou préfères-tu que je chasse ta mère, tes frères et tes sœurs de
leurs maisons ?
Le père Roubert redressa la tête en signe d’indignation,
mais s’il était fier il n’était pas idiot. Aussi, après une pause, il
s’inclina :
— Je vais chercher le document que vous voulez,
Monseigneur, répondit-il humblement.
— Séance tenante, insista le comte.
— Absolument, Monseigneur.
Le frère prêcheur soupira en pensant qu’il ne verrait pas
brûler la fille.
— Mais je vais t’aider, ajouta le vieil homme avec
enthousiasme.
Aucun cardinal-archevêque n’enlèverait à Bérat le trésor le
plus sacré qui fût sur la terre ou dans le ciel. Il le trouverait avant tout le
monde.
Le dominicain arriva à Castillon d’Arbizon au crépuscule, a
l’heure où le guet fermait la porte occidentale. L’automne était déjà bien
avancéet l’obscurité annonçait la première nuit glaciale de l’année
mourante. Pour se réchauffer, les guetteurs avaient allumé un feu dans
Weitere Kostenlose Bücher