L'hérétique
voyage de retour vers Castillon d’Arbizon.
— Je savais que Robbie ne serait pas ici, précisa-t-il,
donc je devinais qu’il ne restait que mes amis.
— Ça fait du bien de mourir au milieu de ses amis,
hein ? fit Guillaume.
Il leva les yeux vers les hautes fenêtres étroites de la
salle. À l’angle de la lumière, il pouvait évaluer l’avancée de la journée.
— Le canon ne va pas tonner avant une paire d’heures.
— Ils abattent l’arche de la porte ?
— C’est ce qu’ils semblent faire, et peut-être qu’ils
veulent détruire tout le mur d’enceinte, au final. Ils pourraient ainsi
pénétrer plus facilement dans la cour. Mais ça leur prendra un mois pour y
arriver.
Il regarda les coredors.
— Et toi tu m’amènes des bouches supplémentaires
à nourrir…
— Ils se battent tous, s’empressa de préciser Thomas.
Même les femmes. Et les enfants peuvent ramasser les carreaux d’arbalète…
Il y en avait plein, éparpillés dans tout le château, et une
fois que les empennes auraient été redressées, ils pourraient parfaitement
servir sur les arbalètes des coredors.
— La première chose à faire, continua l’archer,
c’est de se débarrasser de ce maudit canon.
Messire Guillaume sourit.
— Tu crois que je n’y ai pas encore songé ? Tu
t’imagines qu’on est restés assis à jouer aux dés ? Mais comment veux-tu
faire ? Une sortie ? Si j’envoie une dizaine d’hommes dans la rue, la
moitié sera foudroyée par les carreaux avant qu’ils aient atteint la taverne…
Impossible, Thomas.
— Du petit bois, se contenta de dire le jeune homme.
— Du petit bois ? répéta messire Guillaume d’un
air morne.
— Du petit bois, oui, et de la ficelle. Il faut faire
des flèches incendiaires. Ils n’entreposent pas leur damnée poudre à canon à
l’air libre, non ? Elle se trouve forcément dans une maison. Et les
maisons, ça brûle. Alors on va brûler cette maudite ville. Toute la ville, s’il
le faut. Je doute que nos flèches puissent atteindre les maisons proches du
canon, mais si un petit vent d’est se lève, le feu se répandra assez vite. Et
de toute façon, l’incendie les ralentira.
Messire Guillaume le regarda.
— Tu n’es pas aussi abruti que tu en as l’air.
Un hoquet étouffé les fit se retourner.
Assise près d’eux, Geneviève avait joué avec le carquois que
Thomas lui avait confié près du moulin. Le couvercle, qui s’ajustait
parfaitement sur le tube de cuir circulaire, avait été scellé avec de la cire,
ce qui avait intrigué la jeune femme. Alors elle avait gratté la cire, soulevé le
couvercle et découvert qu’il y avait quelque chose à l’intérieur, quelque chose
qui avait été précautionneusement enveloppé dans du lin et curieusement plongé
dans de la sciure. Après avoir fait tomber cette dernière, elle avait défait le
lin.
Et maintenant tous les présents se tournaient vers elle,
fascinés et tétanisés.
Elle venait de découvrir le Graal.
Joscelyn décida qu’il détestait Guy Vexille. Il haïssait ses
airs supérieurs. Il haïssait le petit rictus qui ne semblait jamais quitter son
visage et qui, sans qu’il ait besoin de prononcer le moindre mot, paraissait
condamner tout ce que Joscelyn faisait. Il exécrait aussi la piété de l’homme
et sa maîtrise de lui-même. Rien n’aurait pu davantage réjouir le comte que
d’ordonner à Vexille de partir, mais ses hommes étaient un renfort non
négligeable, peut-être même déterminant, pour les forces du siège. Quand
viendrait l’assaut, quand ils chargeraient sur les gravats de la porte du
château, les hommes en noir pouvaient bien faire la différence et permettre
d’emporter la victoire. Alors, Joscelyn endurait la présence de l’Harlequin.
Robbie aussi la subissait. Vexille avait tué son frère et
l’Écossais avait juré de le venger. Mais, désormais, la confusion était telle
dans la tête du jeune homme qu’il ne savait même plus ce que signifiaient tous
les serments qu’il avait pu prêter. Il avait juré de payer sa rançon à lord
Outhwaite et il ne l’avait pas fait. Il avait juré de partir en pèlerinage et
il était encore ici, à Castillon d’Arbizon. Il avait juré de tuer Guy Vexille
et l’homme était bien en vie. Il avait juré allégeance à Joscelyn, mais
maintenant, il voyait bien que le comte n’était qu’un fol écervelé, aussi
courageux qu’un goret, et sans aucune once de religion
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