L'hérétique
peints de l’église. Au bout d’un moment, le
consul releva la main, mais cette fois pour demander au lecteur de s’arrêter.
Puis il tourna un regard interrogateur vers le père Médous.
— Alors ?
— Il lit bien, répondit timidement le prêtre.
Son propre latin n’était pas bon et il n’aurait pas aimé avouer
qu’il n’avait pas totalement compris tous les mots qui venaient de retentir
dans la nef. Mais il était certain que l’étranger savait lire.
— Vous savez quel est ce livre ? demanda le
consul, suspicieux.
— Je le suppose, admit le frère. C’est la vie de saint
Grégoire. Le passage, que vous avez sans aucun doute reconnu vous aussi,
ajouta-t-il avec toujours une pointe de sarcasme dans la voix, décrit les maux
qui affligent ceux qui désobéissent au Seigneur notre Dieu.
Il referma la souple couverture noire, rendit l’ouvrage à
son propriétaire.
— Vous savez assurément que le livre s’appelle le Flores Sanctorum, renchérit le moine.
— Assurément.
En récupérant le volume, le prêtre adressa un signe de tête
positif à l’échevin de Castillon.
Pourtant, ce dernier ne paraissait pas encore totalement
rassuré.
— Vos mains, dit-il. Comment ont-elles été à ce point
abîmées ? Et votre nez ? Il a été cassé ?
— Dans mon enfance, répondit le dénommé Thomas en
tendant les doigts. Je dormais avec le bétail. Une nuit, j’ai été piétiné par
un bœuf. Quant à mon nez, il a été cassé par ma mère qui m’a frappé avec une
poêle.
Le consul savait que ces accidents de l’enfance étaient
courants et il se détendit enfin.
— Vous comprenez, mon père, dit-il au moine, que nous
devons nous montrer prudents vis-à-vis des inconnus.
— Prudents à l’endroit des prêtres de Dieu ?
objecta le dominicain sur un ton caustique.
— Nous devions nous assurer que vous l’étiez bien, se
défendit le notable. Nous avons reçu un message d’Auch qui dit que les Anglais
sont dans les parages. Mais personne ne sait où.
— Il y a une trêve, indiqua le frère.
— Depuis quand ces maudits Anglais respectent-ils une
trêve ? rétorqua le consul.
— S’ils sont vraiment anglais, ils le font, répondit le
frère avec mépris. N’importe quelle troupe de bandits est qualifiée
d’« anglaise », par les temps qui courent. Vous avez des hommes,
ajouta-t-il en faisant un geste en direction des sergents qui ne comprenaient
pas un traître mot de la conversation en français, et vous avez des églises et
des prêtres. Alors pourquoi devriez-vous avoir peur des bandits ?
— Les bandits sont anglais, insista le magistrat. Ils
ont des arcs de combat.
— Ce qui ne change rien au fait que j’ai parcouru une
longue route, que je suis fatigué et que j’ai faim et soif…
— Le père Médous va s’occuper de vous.
Sur ce, l’édile repartit en faisant signe aux gens d’armes
de le suivre. Le trio remonta la nef et ressortit sur le petit parvis.
— Il n’y a rien à craindre ! annonça le consul à
la population qui attendait impatiemment. Notre visiteur est bien un frère
prêcheur. C’est un homme de Dieu.
La petite foule se dispersa. Le crépuscule auréolait le
clocher, se refermant sur les remparts du château. Un saint homme de Dieu était
arrivé à Castillon d’Arbizon. La petite ville pouvait dormir en paix.
Le dominicain mangea une platée de chou, de fèves et de lard
salé. Il expliqua au père Médous qu’il revenait du pèlerinage à
Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, où il était allé prier sur la tombe
du saint. Maintenant, il se rendait à Avignon pour prendre de nouveaux ordres
auprès de ses supérieurs. Il n’avait rencontré aucune bande de maraudeurs,
Anglais ou autres.
— À dire vrai, nous n’avons pas vu un seul Anglais
depuis des années, indiqua le curé de Castillon en se hâtant de faire un signe
de croix pour conjurer le malheur qu’il venait de mentionner. Mais il n’y a pas
si longtemps, ils régnaient, ici.
Le frère mangeait et ne semblait pas intéressé par la
conversation de son hôte.
— Nous leur payions des taxes alors, continua celui-ci.
Mais ils sont partis, et maintenant nous appartenons au comte de Bérat.
— Il doit s’agir d’un homme pieux, remarqua l’autre
d’un ton semi-interrogateur.
— Très pieux, confirma son hôte. Il conserve de la
paille provenant de la crèche de Bethléem dans son église. J’aimerais beaucoup
la
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