L'hérétique
un grand
brasero sous la voûte de la porte. Des chauves-souris voletaient au-dessus des
murs de la ville à demi réparés et autour du haut château qui coiffait la
colline raide de Castillon d’Arbizon.
— Que Dieu soit avec vous ! lança le vigile, qui
avait interrompu la fermeture de la porte pour laisser passer le grand moine.
Mais l’homme s’exprimait en occitan, sa langue natale, que
l’ecclésiastique ne parlait pas. Aussi celui-ci se contenta-t-il de sourire
vaguement en esquissant un signe de croix avant de remonter les plis de sa robe
noire et de s’attaquer à la montée de la rue principale de Castillon qui menait
au château. Leur travail de la journée achevé, des filles flânaient en ville.
Certaines minaudèrent au passage de l’ecclésiastique, car celui-ci était un
jeune homme de belle allure en dépit d’une très légère claudication. Ses courts
cheveux noirs décoiffés encadraient un visage volontaire et des yeux sombres. À
la porte d’une taverne, une prostituée le héla et s’attira une bordée de rires
d’un groupe de buveurs attablés devant l’établissement. Un boucher lavait sa
devanture avec un baquet de bois rempli d’eau. Le sang dilué s’écoulait dans le
caniveau aux pieds du frère. À une fenêtre de l’étage supérieur, une femme
étendait son linge sur un grand poteau tout en vociférant des insultes à
l’intention d’une voisine. Dans le dos du moine, la porte occidentale fut enfin
fermée dans un grand fracas, la barre de fermeture glissée avec un bruit sourd.
Le frère ne prêtait aucune attention à toute cette
animation. Il remonta vers l’église Saint-Sardos, nichée juste en dessous du
bastion blafard du château. Une fois à l’intérieur, il s’agenouilla sur les
marches de l’autel, fit le signe de croix, puis se prosterna. Une femme en noir
priait devant l’autel latéral de sainte Agnès. Perturbée par la sinistre
présence du moine, elle se signa à son tour et se hâta de quitter la chapelle.
Allongé à plat ventre sur la marche supérieure, le frère attendit.
Un sergent de ville, revêtu de la livrée gris et rouge de
Castillon d’Arbizon, avait vu le religieux remonter la colline. Il n’avait pas
manqué de remarquer que, si la robe du dominicain était vieille et rapiécée, le
frère lui-même était jeune et fort. Alors il s’était empressé d’aller trouver
l’un des consuls de la ville. L’officiel avait immédiatement réagi. Enfonçant
son chapeau bordé de fourrure sur ses cheveux gris, il avait ordonné au sergent
d’aller chercher deux hommes d’armes, tandis que lui-même allait quérir le père
Médous en lui demandant d’apporter l’un de ses deux livres. Ils se retrouvèrent
peu après devant l’église. Déjà, des badauds s’étaient massés, curieux de ce
qui allait se passer. Le consul leur demanda de reculer.
— Il n’y a rien à voir ! lança-t-il avec un peu
trop d’empressement pour être cru.
Parce qu’il y avait justement quelque chose à voir, et la
population de Castillon le savait déjà. Un étranger était arrivé en ville, or
tous les étrangers étaient regardés avec suspicion. Alors les spectateurs, loin
d’obtempérer, demeurèrent immobiles et regardèrent le consul revêtu de sa robe
officielle gris et rouge bordée de fourrure de lièvre ordonner aux trois
sergents d’ouvrir la porte de l’église.
Qu’attendait la foule ? Qu’un diable jaillisse de
Saint-Sardos ? Pensaient-ils voir surgir une grande bête incandescente
avec des ailes noires crépitantes, une tramée de fumée dans le sillage de sa
queue fourchue ? Rien de tel n’advint. Une fois la porte ouverte, le
prêtre, le consul et deux des sergents pénétrèrent à l’intérieur du sanctuaire,
tandis que le troisième gardait la porte et empêchait les villageois d’avancer.
Dans sa main, il tenait le bâton de son office orné de l’écusson de Castillon
d’Arbizon – un faucon portant une gerbe de seigle. Sur le parvis, la femme
qui avait fui l’église à l’arrivée du moine raconta que celui-ci se contentait
de prier à l’intérieur.
— Mais il a l’air inquiétant. On dirait le diable,
s’empressa-t-elle d’ajouter en faisant un nouveau signe de croix, imitée en
cela par plusieurs de ses concitoyens.
Quand le prêtre, le consul et les deux sergents entrèrent
dans l’église, le visiteur était toujours allongé à plat ventre devant l’autel,
les bras en croix. Il
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