L'hérétique
lui-même, il proviendra de tous les
foyers de la ville. Chacun pourra apporter une torche.
— En Angleterre, indiqua Thomas, il est courant que le
bourreau vienne étrangler la victime sous couvert de la fumée.
C’est un acte de miséricorde que l’on exécute avec une corde
d’arc.
Il sortit une semblable cordelette d’une bourse pendue à sa
ceinture.
— Est-ce la… « coutume » ici ?
— Pas avec les hérétiques, indiqua sèchement Galat
Lorret.
Un petit plissement entendu au coin des lèvres, le jeune
homme remit le lien dans sa bourse. Puis il attrapa le bras de la fille, comme
pour l’entraîner vers le bûcher. Robbie fit un pas en avant, mais messire
Guillaume l’arrêta. Tenant toujours Geneviève, Thomas s’était immobilisé,
hésitant.
— Il doit y avoir un document, lança-t-il à Lorret, un
mandat… Quelque chose qui autorise le pouvoir civil à exécuter la condamnation
des autorités ecclésiastiques…
— Il a été envoyé au châtelain, répondit l’édile.
— À lui ?
Thomas avait levé les yeux vers le gros cadavre pendant
contre la muraille.
— Hélas, il ne me l’a pas remis, et malheureusement je
ne peux pas brûler cette fille sans mandat…
Affectant un air authentiquement contrarié, il se tourna
vers Robbie.
— Pourrais-tu aller le prendre ? J’ai vu un coffre
de parchemins dans la grande salle. Il est peut-être là. Cherche un document
avec un gros sceau…
Incapable de détacher son regard du visage de Geneviève,
l’Écossais donna l’impression de vouloir discuter, puis se précipita à
l’intérieur du château. Thomas rebroussa chemin en ramenant la fille avec lui.
— Pendant que nous attendons, dit-il au père Médous,
vous pourriez peut-être rappeler à la population présente pourquoi cette femme
doit être brûlée…
Surpris par la courtoise invitation, le prêtre resta d’abord
sans voix, avant de se ressaisir :
— Du bétail est mort, indiqua-t-il, et elle a maudit
l’épouse d’un homme.
Le nouveau châtelain de Castillon d’Arbizon se montra
quelque peu perplexe.
— Du bétail meurt en Angleterre, fit-il remarquer, et
j’ai moi-même maudit la femme d’un homme. Cela fait-il de moi un hérétique ?
— Elle peut prédire l’avenir, protesta le prêtre. Elle
danse nue sous les éclairs et a fait usage de magie pour découvrir de l’eau.
— Ah ! soupira Thomas, soucieux. De l’eau ?
— Avec un bâton ! s’interposa Galat Lorret. C’est
de la magie démoniaque.
Pensif, le jeune archer regarda Geneviève, qui tremblait
insensiblement. Puis il se retourna vers le père Médous.
— Dites-moi, mon père, est-ce que je me trompe ou Moïse
n’a-t-il pas frappé un rocher avec le bâton de son frère Aaron pour faire
jaillir de l’eau de la pierre ?
Cela faisait bien longtemps que le curé de Castillon avait
étudié les Saintes Écritures, mais l’histoire lui semblait familière.
— Je me rappelle quelque chose comme ça, s’entendit-il
reconnaître.
— Mon père ! s’exclama Galat Lorret, alarmé.
— Silence ! tonna l’Anglais à l’intention du
consul.
Puis il leva la voix pour citer de mémoire :
— « Cumque elevasset Moses manum percutiens
virga bis silicem egressae sunt aquae largissimae… »
Thomas pensait ne pas s’être trompé dans sa citation biblique.
Il n’y avait pas tant d’avantages à être le bâtard d’un prêtre ni à avoir passé
quelques semaines à Oxford, mais au moins y avait-il glané suffisamment de
savoir pour confondre la plupart des ecclésiastiques.
— Je ne vous ai pas entendu traduire mes paroles, mon
père mais racontez à la foule comment Moïse a frappé le rocher et fait jaillir
de l’eau. Ensuite vous m’expliquerez comment, s’il plaît à Dieu de trouver de
l’eau avec un bâton, il pourrait être malséant qu’une fille agisse de même avec
une baguette ?
Le curé s’exécuta et la populace ne goûta guère le
parallèle. Certains se mirent à hurler. Seule l’apparition de deux archers sur
le rempart au-dessus des cadavres oscillants les fit calmer. Le prêtre se hâta
de traduire le sens de leurs protestations.
— Elle a maudit une femme, rappela-t-il, et prophétisé
l’avenir.
— Quel futur a-t-elle vu ? demanda Thomas.
— La mort.
C’était Lorret qui avait répondu et qui poursuivit :
— Elle a dit que la ville allait être pleine de
cadavres et que nos corps resteraient abandonnés
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