L'hérétique
à l’observer. Quand il lui parlait, elle se
contentait de dodeliner de la tête. Parfois, elle pleurait silencieusement. On
n’entendait pas même un sanglot alors que les larmes coulaient le long de ses
joues. Dans ces moments-là, elle paraissait simplement en proie au désespoir le
plus extrême.
Robbie essaya de lui parler. Chaque fois, elle reculait
devant lui. En fait, dès qu’il s’approchait trop, elle frissonnait. Alors le
jeune Écossais finit par se vexer.
— Saleté de garce hérétique ! maudit-il avec son
accent calédonien.
Bien qu’elle n’entendît point l’anglais, Geneviève avait
parfaitement compris ce qu’il voulait dire. Ses grands yeux se tournèrent vers
Thomas.
— Elle a peur, indiqua ce dernier.
— De moi ? s’indigna Robbie.
Son irritation n’était pas feinte, car c’était un jeune
homme animé d’intentions parfaitement amicales ; avec un visage franc et
un nez retroussé.
— Elle a été torturée, rappela son chef. Tu sais ce que
cela produit sur quelqu’un…
Involontairement, il regarda les articulations de ses
propres mains déformées par les étaux qui en avaient écrasé les os. À l’époque,
il avait pensé ne plus jamais pouvoir tirer à l’arc. Mais son ami Robbie
l’avait aidé à persévérer et à se rééduquer.
— Elle se remettra, ajouta-t-il.
— J’essaye juste d’être gentil, protesta l’Écossais.
Thomas scruta son ami et celui-ci eut l’élégance de rougir.
— Mais l’évêque va envoyer un nouveau mandat, fit
observer son chef.
Il avait brûlé le premier. Il l’avait découvert dans le
coffre de fer du châtelain, au milieu d’autres papiers. La plupart de ces
parchemins étaient des registres de taxes, des relevés de paiement, des
inventaires de marchandises et de stocks, des listes d’hommes, la comptabilité
des petits détails de la vie quotidienne. Il y avait aussi quelques pièces de
monnaie, le fruit des taxes… Le premier butin du commandement de Thomas !
— Que feras-tu quand l’évêque enverra son second
mandat ? s’inquiéta Robbie.
— Que veux-tu que je fasse ?
— Tu n’auras pas le choix. Il te faudra la brûler.
L’évêque l’exigera.
— Probablement, admit l’Anglais. L’Église sait se
montrer très tenace quand il s’agit de brûler des gens.
— Donc elle ne peut pas rester ici !
— Je l’ai libérée. Elle peut faire ce qu’elle veut.
— Je vais l’emmener à Pau, proposa l’Écossais avec
véhémence.
Pau se trouvait loin à l’ouest, mais elle représentait la
garnison anglaise la plus proche.
— De cette manière, continua-t-il, elle sera en
sécurité. Accorde-moi une semaine, c’est tout, pour que je l’éloigne de
Castillon…
— Non, j’ai besoin de toi ici. Nous avons trop peu
d’hommes, et quand il va venir, l’ennemi sera lui en nombre.
— Laisse-moi l’emmener…
— Elle reste ici, trancha Thomas fermement, sauf si elle veut partir.
Un instant, Robbie donna encore une fois l’impression de
vouloir argumenter. Puis brusquement, sans un mot, il quitta la pièce. Messire
Guillaume esquissa un sourire amer. S’il n’avait pas ouvert la bouche
jusque-là, il avait compris une bonne partie de la conversation en anglais.
— Dans un jour ou deux, commenta-t-il dans cette même
langue pour que Geneviève ne saisisse pas, Robbie voudra la brûler.
— La brûler ? s’étonna son compagnon. Non, pas
Robbie. Il veut la sauver.
— Il la veut, corrigea d’Evecque. Et s’il ne
peut l’avoir, il considérera que personne n’y a droit.
Le Normand haussa les épaules avant de revenir au
français :
— Si elle était moche, serait-elle en liberté ?
Il s’était tourné vers la fille en posant la question.
— Si elle était moche, comme tu dis, je doute qu’elle
eût jamais été condamnée, riposta le nouveau maître de Castillon.
Une nouvelle fois, Guillaume haussa les épaules. Sa fille
illégitime, Eléonore, avait été la femme de Thomas avant d’être tuée par Guy
Vexille, le cousin de celui-ci. Il regarda Geneviève et dut reconnaître qu’elle
était d’une grande beauté.
— Tu ne vaux pas beaucoup mieux que l’Écossais, de ce
point de vue, maugréa-t-il.
La seconde nuit depuis la prise du château survint. Tous les
hommes partis en quête de nourriture étaient rentrés sains et saufs. Quand les
chevaux furent nourris, les portes refermées, les sentinelles en place et le
dîner
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