L'hérétique
dans les rues, sans sépulture.
Thomas parut impressionné.
— A-t-elle prédit que la ville allait revenir à sa
véritable allégeance ? A-t-elle dit que le comte de Northampton allait
nous envoyer ici ?
Il y eut une pause et Médous secoua négativement la tête.
— Non, avoua-t-il.
— Donc elle ne voit pas très clairement l’avenir,
considéra le jeune homme, et par conséquent le diable ne peut l’avoir inspirée.
— La cour de l’évêque en a jugé autrement, insista le
consul, et il ne vous appartient pas de discuter des décisions des autorités
compétentes.
L’épée sortit du fourreau de Thomas à une vitesse
surprenante. Huilée pour l’empêcher de rouiller, la lame luisante piqua la
poitrine de Lorret à travers sa robe à doublure de fourrure.
— Je suis les autorités compétentes, rétorqua
l’archer avec force en repoussant le consul de la pointe de son arme, et tu
ferais mieux de t’en souvenir. Je n’ai jamais rencontré ton évêque, mais s’il
pense qu’une fille est une hérétique parce que du bétail meurt, eh bien, c’est
un idiot ! Et s’il la condamne parce qu’elle a fait ce que Dieu a ordonné
à Moïse, c’est un blasphémateur !
Il pressa la lame une dernière fois, ce qui fit reculer
Lorret un peu plus.
— Quelle femme a-t-elle maudite ?
— La mienne, répondit le marchand, indigné.
— Est-elle morte ? demanda l’Anglais.
— Non, reconnut le consul.
— Donc le sortilège ne fonctionne pas, conclut l’autre
en remettant son épée dans son fourreau.
— C’est une bégharde ! insista le père Médous.
Elle a été reconnue comme telle !
— Qu’est-ce qu’une bégharde ? questionna Thomas.
— Une hérétique, répondit le prêtre sans grande
conviction.
— En réalité vous n’en savez rien, n’est-ce pas ?
devina l’archer. Ce n’est qu’un mot, pour vous, et au nom de cet unique mot
vous pourriez la brûler ?
Il attrapa le poignard à sa ceinture, puis sembla se
rappeler quelque chose.
— Je suppose, dit-il en se retournant vers le consul,
que vous allez envoyer un message au comte de Bérat…
Lorret, interloqué, fit mine d’ignorer le sens de cette
question.
— Ne me prends pas pour un idiot ! gronda Thomas.
Tu es sans aucun doute en train de concocter semblable message. Alors écris à
ton comte et n’oublie pas d’écrire également à ton évêque. Dis-leur que j’ai
capturé Castillon d’Arbizon et dis-leur aussi…
Il s’interrompit. Au cours de la nuit tourmentée qu’il
venait de passer, il s’était rongé les sangs. De toute la puissance de son âme,
il avait prié pour trouver la force de se montrer bon chrétien. Seulement,
toute son âme précisément et tous ses instincts lui criaient de ne pas brûler
la fille. Puis une voix intérieure lui avait subrepticement chuchoté qu’il
était en train de se laisser charmer par la pitié, mais aussi par des cheveux
blonds et des yeux clairs. Et il ne s’en était retrouvé que davantage torturé
et déchiré. Cependant, au terme de ses prières, au petit matin, il avait su
avec certitude qu’il ne pouvait mettre Geneviève sur le bûcher.
Il sortit donc son poignard et trancha la corde entravant la
condamnée. Quand la foule manifesta sa réprobation, il haussa le ton.
— Dis à ton évêque que j’ai libéré l’hérétique.
Il remit sa dague dans son fourreau et plaça son bras droit
autour des minces épaules de Geneviève. Puis, de nouveau, il fit face à la
foule.
— Dis à ton évêque qu’elle est sous la protection du
comte de Northampton. Et si ton évêque veut savoir qui a fait ça, donne-lui mon
nom, ainsi qu’au comte de Bérat : Thomas de Hookton.
— Houque… tonne, répéta Lorret en trébuchant sur le nom
peu familier.
— Hookton, corrigea Thomas. Et dis-lui que par la grâce
de Dieu Thomas de Hookton est le nouveau seigneur de Castillon d’Arbizon.
— Vous ? Seigneur ? Ici ? s’exclama
l’édile au comble de l’indignation.
— Assurément. Et comme tu l’as constaté, ajouta Thomas,
j’ai pouvoir de vie et de mort. Et ta vie, Galat Lorret, en fait partie.
Il tourna les talons et ramena Geneviève vers la cour du
château. Les portes se refermèrent en claquant bruyamment derrière eux.
Frustré du divertissement promis, Castillon d’Arbizon s’en
retourna au travail.
Pendant deux jours, Geneviève ne mangea pas, ne prononça pas
un mot. Elle resta près de Thomas,
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