L'hérétique
propriétaire. Nostalgique,
Thomas regarda l’if se consumer. Une dernière fois, il vit l’arc se tordre,
puis claquer dans une gerbe d’étincelles, et il pensa aux flèches qu’il avait
tirées avec lui. Ses archers se tenaient respectueusement autour du foyer de la
grande salle et, derrière eux, les hommes d’armes observaient, silencieusement.
Lorsque l’arc ne fut plus qu’un vulgaire bout de bois brisé et rougeoyant,
Thomas leva son gobelet de vin.
— À l’enfer ! s’écria-t-il en lançant la vieille
invocation.
— À l’enfer ! appuyèrent en écho tous les archers.
Les hommes d’armes, honorés d’être admis à participer à ce
rituel, les imitèrent.
Un seul s’était tenu à l’écart : Robbie ! Depuis
quelques jours, il avait commencé à arborer ostensiblement un crucifix d’argent
autour du cou. Il le portait au-dessus de sa cotte de mailles, pour bien
montrer qu’il avait pour vocation de conjurer le mal.
— C’était un bon arc, estima Thomas en contemplant les
braises.
Mais le nouveau était au moins aussi bon, peut-être même
meilleur.
Deux jours plus tard, il le prit avec lui lorsqu’il s’élança
à la tête du plus gros raid organisé depuis l’arrivée à Castillon.
Il emmenait tous ses hommes, à l’exception de la poignée
affectée à la garde du château. Cela faisait des jours qu’il planifiait cette
expédition et il savait qu’une longue chevauchée les attendait. Ce fut donc
bien avant l’aube qu’ils quittèrent Castillon d’Arbizon. Le bruit des sabots
résonnait contre les façades des maisons tandis que les cavaliers descendaient
en direction de la porte occidentale. Là, le guetteur brandissait maintenant un
bâton arborant le blason du comte de Northampton. Prestement, il leur ouvrit
les portes. Les cavaliers franchirent au trot le petit pont avant de
disparaître entre les arbres pour filer vers le sud. Personne ne connaissait
leur destination.
Ils obliquèrent bientôt vers le levant. Vers Astarac. S’ils
l’ignoraient pour la plupart, les hommes de Thomas prenaient la direction du
berceau de la famille de leur chef, l’endroit où le Graal avait peut-être été
caché.
— Tu espères vraiment le trouver ? demanda messire
Guillaume. Tu penses que nous chevauchons vers lui ?
— J’ignore ce que nous allons découvrir, lui répondit honnêtement
son compagnon.
— Il y a un château là-bas, n’est-ce pas ?
— Il y en avait un, oui, mais mon père disait toujours
qu’il avait subi un outrage.
« Subir un outrage » signifiait qu’il avait été
démoli. Et Thomas s’attendait à ne rien rencontrer d’autre que des ruines.
— Alors pourquoi nous rendons-nous là-bas ?
s’enquit le Normand.
— À cause du Graal, se contenta de rappeler sèchement
son commandant.
En vérité, il y allait surtout par curiosité. Or, si ses
hommes ignoraient ce qu’il cherchait précisément, ils s’étaient bien rendu
compte que ce raid avait quelque chose d’inhabituel. Thomas leur avait
simplement déclaré qu’ils allaient dans un lieu éloigné parce qu’ils avaient
déjà mis la main sur tout ce qu’il y avait à prendre dans le voisinage. Mais
les plus sagaces n’avaient pas manqué de remarquer la nervosité de leur chef.
Quant à Robbie, il connaissait parfaitement la signification
d’Astarac, à l’instar de Guillaume d’Evecque. Pour prévenir une embuscade,
l’Écossais chevauchait en avant-garde, à un quart de mille du gros de la
troupe. Six archers et trois hommes d’armes l’accompagnaient. Ils étaient
guidés par un habitant de Castillon d’Arbizon qui prétendait connaître la
route. Le petit groupe arpentait des collines aux arbres bas et rares. Aucun
obstacle n’entravait la visibilité. Régulièrement, Robbie faisait un signe du
bras pour indiquer que la voie était libre. Chevauchant tête nue, messire
Guillaume répondait par un signe de tête à la silhouette au loin.
— Alors finalement cette belle amitié est
terminée ? demanda-t-il sur un ton plus affirmatif qu’interrogatif.
— Je ne l’espère pas, répondit Thomas.
— Tu peux bien espérer ce que tu veux, mais elle s’est mise entre vous deux.
Le visage du Normand avait été défiguré par Guy Vexille, le
cousin de Thomas, qui ne lui avait laissé que l’œil droit, une belle cicatrice
sur la joue gauche et une entaille blanche, là où l’épée avait entamé sa barbe.
Il avait l’air terrifiant, et
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