L'hérétique
cracha Thomas. Tu prétends qu’elle
peut s’en sortir grâce à un quelconque artifice du diable ? Alors pourquoi
est-elle là ? Pourquoi s’est-elle retrouvée dans une cellule ?
Pourquoi n’a-t-elle pas déployé ses ailes pour s’envoler et s’enfuir ?
— Dieu l’en a empêchée, s’entêta celui qui avait parlé.
— Alors Dieu aurait dû faire saigner sa peau quand le
crucifix l’a touchée, non ? objecta Thomas. D’ailleurs, si elle est une
créature du diable, elle doit avoir des pieds de chat, n’est-ce pas ? Ça
aussi, vous le savez tous !
Bon nombre des présents marmonnèrent des paroles
d’acquiescement. Il était notoire que les familiers du démon se voyaient dotés
de pattes de chat pour pouvoir se déplacer discrètement dans le noir et
exécuter leurs malfaisances.
— Enlève tes chaussures ! ordonna Thomas à
Geneviève.
Quand elle se retrouva pieds nus, il tendit les doigts vers
eux.
— Ça, des pattes de chat ? À mon avis, elle ne va
pas attraper beaucoup de souris avec des griffes comme ça !
Deux ou trois hommes tentèrent de discuter, mais Thomas les
ignora. Sur ce, messire Guillaume revint, accompagné du père Médous. Le prêtre
apportait un petit coffret d’argent qu’il tenait toujours prêt pour administrer
les derniers sacrements.
— Ce n’est pas convenable… commença le religieux.
Mais il s’arrêta en voyant la mine du chef des Anglais.
— Viens ici, prêtre ! lui lança l’archer.
Le curé obéit. Thomas lui prit le coffret d’argent des
mains.
— Elle a réussi l’une des épreuves, indiqua-t-il, mais
vous tous savez, je dis bien tous, et même en Écosse on sait cela…
Le doigt tendu vers Robbie, il s’interrompit un instant.
Puis :
— Vous savez que le diable lui-même ne peut sauver ses
créatures du contact avec le corps du Christ ! Elle mourra ! Elle se
tordra de douleur en agonisant. Sa chair tombera et les vers grouilleront à
l’endroit même où elle se trouve. Ses cris seront audibles du Ciel. Vous savez
tous cela !
Oui, tous le savaient, et ils acquiescèrent de la tête. Ils
regardèrent Thomas prendre un petit morceau de pain azyme dans la boîte et le
tendre vers Geneviève. La fille hésita. Elle fixa, affolée, les yeux de Thomas,
mais il lui sourit en retour et, obéissante, elle ouvrit sa bouche et le laissa
déposer l’épaisse hostie sur sa langue.
— Mon Dieu, tuez-la ! lança le père Médous vers le
ciel. Tuez-la ! Oh Jésus, Jésus… Tue-la !
Sa voix se répercutait contre les murs du château. Puis
l’écho s’évanouit progressivement tandis que tous les yeux étaient rivés sur la
grande blonde en train d’avaler le pain sacré.
Thomas laissa perdurer le silence, puis il se tourna vers la
jeune fille, qui incontestablement vivait toujours.
— Elle est venue ici avec son père ! lança-t-il à
ses hommes en anglais. C’était un jongleur qui glanait quelques piécettes dans
les foires et c’était elle qui tendait le chapeau. Nous avons tous vu des gens
vivre ainsi. Marcheurs sur échasses, cracheurs de feu, montreurs d’ours,
jongleurs… Geneviève ramassait les pièces, vous entendez ? Mais son père
est mort et elle est restée toute seule ici, seule et étrangère, perdue au
milieu de gens parlant une autre langue. Elle était comme nous ! Personne
ne l’aimait parce qu’elle venait de loin. Elle ne comprenait même pas leur langue.
Elle était détestée parce qu’elle était différente, et c’est pour ça qu’on l’a
traitée d’hérétique ! Maintenant, j’entends ce prêtre qui la traite lui
aussi d’hérétique ! Mais la nuit où je suis arrivé ici, je me suis
retrouvé chez lui. Il y avait une femme qui vivait là et qui lui faisait la
cuisine, et aussi le ménage… Mais il n’y avait qu’un lit dans la maison !
Comme Thomas l’avait prévu, cette remarque avisée suscita
une vague d’hilarité. À sa connaissance, le père Médous avait une bonne dizaine
de lits sous son toit, mais le prêtre ignorait ce que l’archer était en train
de raconter dans sa langue.
— Geneviève n’est pas une bégharde, continua l’Anglais.
Vous venez de le constater par vous-mêmes, mes amis. Elle n’est qu’une âme, une
pauvre égarée, comme nous, et la population d’ici s’est dressée contre elle
parce qu’elle n’était pas comme eux. Alors, si l’un d’entre vous continue de la
craindre et de penser qu’elle va attirer sur nous la
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