L'hérétique
nouer et de se présenter comme une
femme, mais elle préférait les laisser libres. Elle n’en ressemblait que
davantage à une draga, se disait Thomas.
— Elle parlait des trésors des parfaits.
Comme les béghards, les parfaits étaient des hérétiques qui
refusaient l’autorité de l’Église. Sous le nom de cathares, ou d’albigeois, ils
avaient contaminé tout le sud de la France, jusqu’à ce que l’Église et le roi
se décident à les écraser dans le sang et les flammes. Or, si cela faisait deux
cents ans que les cendres de leurs bûchers s’étaient éteintes, l’écho des
cathares était encore perceptible dans les pays de langue d’oc. Dans les faits,
ils ne s’étaient pas vraiment répandus dans cette partie de la Gascogne, mais
il se trouvait certains ecclésiastiques pour clamer que leur hérésie avait
infesté toute la chrétienté et qu’elle continuait de se terrer dans les
contrées les plus reculées.
— Les trésors des parfaits, répéta Thomas d’une voix
atone.
— Tu as parcouru une très longue route pour venir dans
ce trou perdu et tu arbores un blason qui, quoi que tu en dises, provient de
ces collines. Quand mon père et moi venions par ici, nous entendions toujours
des histoires sur Astarac. Et je t’assure qu’on continue de les raconter dans
la région.
— On raconte quoi ?
— Qu’un grand seigneur a jadis trouvé refuge ici, qu’il
apportait les trésors des parfaits et qu’ils sont encore ici.
Le jeune homme sourit.
— Les gens d’ici les ont sans doute déterrés depuis
longtemps.
— Quand on cache bien une chose, elle est difficile à trouver.
Thomas se retourna, regarda à son tour vers le village. Des
mugissements, des cris et des bêlements montaient de l’enclos où les bêtes
étaient abattues. Les meilleurs morceaux de viande fraîche et saignante
allaient être accrochés aux selles pour être salés et fumés, tandis que les
villageois pourraient récupérer les cornes, les abats et les peaux.
— On raconte partout des histoires, remarqua-t-il avec
une forme de dédain.
— Parmi tous les trésors, continua doucement la Picarde
sans se soucier de la défiance de son compagnon, il en est un qui aurait plus
de prix et d’importance que tous les autres. Mais on dit que seul un parfait
peut le retrouver.
— Alors, Dieu seul peut le découvrir.
— Pourtant, ça ne t’empêche pas d’essayer de le
chercher, Thomas, n’est-ce pas ?
— De quoi parles-tu ?
— Du Graal !
Le mot avait été lâché, s’affligea intérieurement l’archer,
ce mot absurde, impensable, désignant une chose qui n’existait sans doute pas
mais qu’il cherchait quand même. Certes, les écrits de son père laissaient
entendre qu’il avait possédé le Graal. Quant à son cousin, Guy Vexille, il
était convaincu que Thomas savait où se trouvait la relique. Et pour cette
raison, il le suivrait jusqu’aux confins de la Terre. C’était aussi pour cela
que le jeune Anglais était venu ici, à Astarac : pour attirer son cousin
assassin à portée de son nouvel arc. Il leva les yeux vers le sommet du donjon
ruiné.
— Messire Guillaume sait pourquoi nous sommes ici, lui
avoua-t-il. Robbie aussi. Mais aucun des autres, alors ne le leur dis pas.
— Je ne le ferai pas. Mais, toi, penses-tu que le Graal
existe ?
— Non, répondit-il d’une voix exprimant davantage de
certitude qu’il n’en ressentait vraiment.
— Il existe pourtant ! s’exalta Geneviève.
Tout en s’approchant d’elle, Thomas eut le regard attiré
vers le sud. Un petit torrent sinuait doucement dans les prairies et entre les
oliveraies. À faible distance, une bonne vingtaine d’inconnus les épiaient. Des coredors. S’il ne voulait pas que ces bandes déguenillées suivent ses
propres hommes tout l’hiver, il allait devoir faire quelque chose. Il ne les
craignait pas vraiment, mais il avait peur qu’un de ses soldats ne s’écarte un
peu trop du sentier et ne soit écharpé par ces bandits aux abois. Pour prévenir
un tel incident, il valait mieux les effrayer un bon coup dès maintenant.
— Il existe, insista la jeune femme.
— Tu n’en sais rien, répondit Thomas sans quitter des
yeux les loqueteux qui l’observaient en retour.
— Le Graal est comme Dieu. Il est partout, tout autour
de nous, sous nos yeux, mais nous refusons de le voir. Les hommes croient
qu’ils ne peuvent voir Dieu qu’en construisant une grande église
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