L'hérétique
un
instant de son sourire. Je suis l’abbé Planchard et ma maison est à votre
merci. Fais ce que tu veux, jeune homme, nous n’exercerons aucune résistance.
Il fit un pas de côté en esquissant un geste de la main vers
le monastère, comme s’il invitait son interlocuteur à tirer son épée et à
commencer le pillage.
Robbie demeura immobile. Il continuait de penser à Hexham.
En proie à la plus grande confusion, il revoyait maintenant un frère agonisant
dans l’église. Du sang coulait sous sa robe noire et dégoulinait sur les
marches. Des soldats écossais ivres enjambaient le mourant, les bras chargés de
butin : chandeliers, croix, chapes brodées.
— Naturellement, ajouta l’abbé, si vous préférez, vous
pouvez prendre le vin ? C’est le nôtre et ce n’est hélas pas le meilleur.
Nous le buvons trop jeune, mais nous faisons aussi un excellent fromage de
chèvre, et le frère Philippe produit le meilleur pain de la vallée. Nous
pouvons donner de l’eau à vos chevaux, mais je n’ai hélas pas beaucoup de foin
à leur offrir.
— Non, répondit abruptement Robbie.
Aussitôt, il se tourna vers ses hommes et leur hurla :
— Retournez auprès de messire Guillaume !
— On fait quoi ? s’étonna l’un des hommes d’armes,
circonspect.
— Retournez auprès de messire Guillaume.
Maintenant !
Il revint vers eux, reprit les rênes de son cheval des mains
de Jake, puis rejoignit l’abbé pour retourner avec lui à pied vers le
monastère. Le religieux et le soldat cheminaient côte à côte, sans échanger une
parole. Mais le cistercien devina que l’Écossais voulait lui dire quelque chose
malgré son silence. À l’entrée du monastère, il demanda au frère portier de
s’occuper du cheval de leur « hôte », puis il invita celui-ci à
laisser son épée et son écu dans la loge.
— Naturellement, tu peux les conserver, le rassura
l’abbé, mais je pense que tu seras plus à l’aise sans eux. Tu es le bienvenu à
Saint-Sever.
— Saint Sever ? demanda le jeune homme en dénouant
la lanière de son écu. Je ne connais pas ce saint.
— On dit qu’il a soigné l’aile d’un ange dans cette
vallée. Parfois, j’ai du mal à croire cette histoire, mais Dieu aime éprouver
notre foi. Donc, je prie chaque nuit saint Sever ; je le remercie pour ce
miracle et je lui demande de me « réparer » comme il a réparé cette
aile angélique…
Robbie sourit.
— Vous avez besoin d’être réparé ?
— Nous en avons tous besoin. Quand nous sommes jeunes,
c’est l’esprit qui se brise. Quand nous vieillissons, c’est le corps.
L’abbé Planchard pressa le coude de Robbie pour le guider
vers le cloître où ils dénichèrent un petit coin ensoleillé entre deux piliers.
Le supérieur du couvent invita son visiteur à s’asseoir sur le muret.
— Dis-moi, commença-t-il une fois assis à côté de
Robbie. Es-tu Thomas ? C’est bien le nom de l’homme qui commande les
Anglais ?
— Non, je ne suis pas Thomas, reconnut le soldat. Mais
vous avez vraiment entendu parler de nous ?
— Oh oui ! Rien d’aussi excitant n’est arrivé dans
cette région depuis la chute de l’ange, sourit le moine.
Puis il héla un moine qui passait et lui demanda d’apporter
du vin, du pain et du fromage.
— Et peut-être aussi un peu de miel ! Nous en
faisons un très bon, confia-t-il fièrement. Ce sont les lépreux qui s’occupent
des ruches.
— Les lépreux ?
— Ils vivent derrière notre maison, expliqua le vieil
homme paisible. Une maison que toi, jeune homme, tu voulais piller. Ai-je
raison ?
— Oui, confessa Robbie.
— Et au lieu de cela, te voilà ici à rompre le pain
avec moi.
Planchard marqua une pause. Ses yeux malicieux scrutaient le
visage de son interlocuteur.
— Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais me
dire ?
Robbie fronça les sourcils, avant de manifester sa
surprise :
— Comment le savez-vous ?
L’abbé laissa s’exprimer un petit rire bienveillant.
— Quand un soldat vient vers moi, avec armes et
armures, mais aussi avec un crucifix pendant sur sa cotte de mailles, je
comprends que j’ai affaire à un homme qui n’est pas complètement indifférent à
son Dieu. Tu portes un signe, mon fils, précisa-t-il en tendant le doigt vers
le crucifix. Et même à quatre-vingt-cinq ans passés, je peux encore déchiffrer
un signe.
— Quatre-vingt-cinq ans ? s’étonna un
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