L'hérétique
pourras
probablement y survivre…
Joscelyn ne comprit pas l’insulte.
— Nous avons des arbalètes ! s’enflamma-t-il.
— Oui, trente arbalétriers, admit le seigneur de Bérat.
Ils ne sont plus tout jeunes, et certains sont même malades. Je ne crois pas
qu’un seul survivrait face à ce jeune maître archer. Comment dis-tu qu’il
s’appelle ?
— Thomas de Hookton, intervint le père Roubert.
— Étrange nom, considéra le comte, mais il paraît
connaître son affaire. C’est un homme à traiter avec soin, voilà ce que je dis.
— Alors, nous ferons venir des canons ! suggéra
l’impétueux neveu.
— Ah, des canons… releva le châtelain comme s’il n’y
avait pas songé lui-même. Nous pourrions certainement en amener à Castillon
d’Arbizon, oui. Assurément, ils pulvériseraient la porte du château et, plus
globalement, ils feraient bien des dégâts. Mais où comptes-tu en trouver ?
Il y en a bien un à Toulouse, me suis-je laissé dire, mais il faut dix-huit
chevaux pour le déplacer. Nous pourrions aussi aller en chercher en Italie, naturellement,
mais leur location coûte très cher et les servants artilleurs de ces pièces
sont encore plus onéreux. En outre, je doute fortement qu’ils puissent les
amener ici avant le printemps. Alors, que Dieu nous préserve jusque-là !
— Nous ne pouvons pourtant rester là sans rien
faire ! protesta de nouveau Joscelyn.
— Exact, mon neveu, exact.
La pluie battait contre les carreaux de corne qui
recouvraient les fenêtres. Elle tombait par paquets gris sur toute la ville,
cascadant le long des gouttières, envahissant les fosses des latrines,
traversant le chaume et franchissant comme un petit torrent les portes basses
de la ville.
Ce n’est pas un temps pour se battre, songea le comte.
Mais même s’il le lui interdisait, il savait que son jeune
fou de neveu se précipiterait tête baissée sus aux Anglais et se ferait tuer
dans un affrontement irréfléchi.
— Nous pourrions les payer, évidemment, suggéra-t-il.
— Les payer ?
L’hypothèse scandalisait le jeune homme.
— C’est tout à fait courant, Joscelyn. Ce ne sont que
des bandits, et tout ce qu’ils veulent, c’est de l’argent. Donc je peux leur en
offrir pour qu’ils nous restituent le château. Cela marche assez souvent.
Le colosse cracha par terre.
— Ils prendront l’argent et ils resteront là, pour en
demander encore davantage.
— Bien pensé.
Un sourire authentiquement appréciateur, voire étonné,
illumina les traits du comte de Bérat.
— J’en suis arrivé exactement à la même conclusion,
pour-suivit-il. Tu as vu parfaitement juste, Joscelyn ! Donc je ne vais
pas les payer. Et j’ai déjà écrit à Toulouse pour requérir le service de leur
canon. Il ne fait aucun doute qu’il coûtera indécemment cher. Mais si c’est
nécessaire, nous l’utiliserons contre les Anglais. J’espère que nous n’en
arriverons pas là. As-tu parlé à messire Henri ?
Messire Henri Courtois, le commandant de la garnison, était
un soldat fort d’une riche expérience du combat. Joscelyn lui avait
effectivement parlé et il lui avait fait la même mise en garde que son
oncle : « Prenez garde aux archers anglais ! »
— Messire Henri est une vieille femme, se plaignit le
jeune homme.
— Avec cette barbe ? J’en doute fortement… bien
qu’il me soit arrivé de voir une femme à barbe. C’était à Tarbes, à la foire de
Pâques. J’étais très jeune alors, mais je me souviens très bien d’elle. Elle en
arborait une très longue. Naturellement, pour la contempler, il fallait
débourser une paire de pièces. Et si vous en ajoutiez quelques-unes, vous étiez
même autorisé à tirer sur la barbe. C’est ce que j’ai fait. C’était bien une
vraie. Et si tu payais encore un peu, elle te montrait ses seins, ce qui
enlevait tout doute sur sa féminité. De très jolis seins, pour autant que je
m’en souvienne.
Il se repencha sur le contrat du maçon, et le mot latin en
particulier qui avait attiré son attention : Calix. Il éveillait
dans son cerveau une vague réminiscence de son enfance, mais le souvenir, ténu,
se refusait à remonter à la surface de sa conscience.
— Trente hommes, plaida encore Joscelyn.
Le comte reposa le document.
— Ce que nous allons faire, mon neveu, c’est ce que
messire Henri suggère. Nous pouvons espérer attraper les Anglais quand ils sont
loin de leur tanière. Pendant
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