L'Héritage des Cathares
main. Dans un geste de profonde intimité qui faisait fi de nos années de séparation, elle ferma les yeux et y posa son visage.
— Non, Pernelle. Ce n’est pas si terrible. J’ai vu ce qu’ont fait les croisés au nom de Dieu. Je t’ai vue, toi, te dépenser sans compter dans l’espoir de sauver tous ces gens. Je n’ai lu que bonté et compassion dans tes yeux. Si tu es une hérétique et que tous les autres sont comme toi, alors l’hérésie ne peut être qu’une fort bonne chose et personne, pas même le pape, ne la jugerait autrement s’il n’était aveuglé par la cupidité.
À ces paroles, le corps de Pernelle se détendit et son visage s’éclaira d’un sourire de petite fille à qui l’on vient de confirmer qu’elle ne serait pas punie. Ses yeux se mouillèrent à nouveau, de reconnaissance, cette fois. Pour ma part, je me sentais étrangement serein, bien que je fusse en train de discuter avec une hérétique confirmée que mon devoir de croisé était pourtant d’abattre sans réfléchir. Toutes ces considérations me paraissaient soudain bien lointaines et immatérielles.
Le légat du pape avait présenté les cathares comme le Mal incarné, une peste abjecte qui devait être éradiquée à tout prix, un cancer qui rongeait les terres chrétiennes. À ses yeux, ils ne valaient pas mieux que des cafards qu’on écrase sans remords. Or, hormis les invectives compréhensibles de mon voisin de lit, ce dont j’avais été témoin jurait avec tout cela. On m’avait sauvé la vie au lieu de me laisser mourir. Je n’avais vu ici que générosité, tolérance et abnégation. Les abjections avaient été commises par les croisés, pas par les hérétiques. Si le Bien résidait quelque part dans cette horrible tuerie, c’était du côté de ces derniers. Et là où se trouvait le Bien se trouvait forcément Dieu. C’est ce que le père Prelou m’avait enseigné.
— Parle-moi des cathares, demandai-je. Explique-moi. J’en sais si peu de choses. Comment puis-je en juger ?
Elle sourit et se remit debout, puis m’aida à en faire autant.
— Tu as déjà fait de grands efforts aujourd’hui. Il est temps de te reposer l’esprit autant que le corps. Plus tard, si tu le souhaites encore, je te dirai tout ce que tu veux savoir. Et puis, le bonheur que je trouve en ta compagnie est tel que je néglige mes patients. Je dois aussi m’occuper d’eux.
Bras dessus, bras dessous, nous retournâmes lentement à l’infirmerie sans échanger la moindre parole, chacun perdu dans ses pensées. Je ne doutais point qu’elle partageait le bien-être que je ressentais pour la première fois depuis nos escapades dans les bois. Malgré ce bonheur, une part de moi éprouvait un malaise. Le Gondemar que Pernelle avait retrouvé n’était plus celui qu’elle avait connu. Ce Gondemar-là, elle le craindrait et s’en méfierait.
Nous avions presque atteint la porte de l’infirmerie lorsqu’un vieil homme, plié sous le poids d’un sac de farine, déposa son fardeau sur le sol et s’agenouilla devant Pernelle, les mains jointes.
— Bonne dame, donne-moi ta bénédiction et celle de Dieu.
— Tiens-la de Dieu et de moi, rétorqua Pernelle en posant ses mains sur la tête du vieux.
— Donne-moi la grâce d’être conduit à bonne fin.
— Dieu te bénisse, mon brave Ulric. Je le prie de te faire bon chrétien et de te conduire à bonne fin.
L’homme se releva, ramassa son sac et repartit. Je dévisageai Pernelle, interloqué, mais elle évita mon regard et ne dit mot. Je remarquai qu’elle avait rougi, comme embarrassée. Elle m’accompagna jusqu’à mon lit et sourit lorsque je m’y effondrai, à bout de forces. Je n’eus pas besoin de sa potion pour m’enfoncer dans un profond sommeil dont un de ses compagnons me tira pour me servir mon repas du soir.
Le lendemain matin, je me sentais un peu plus fort. Je déjeunai avec enthousiasme en attendant Pernelle, mais elle ne vint pas. Souhaitant continuer à récupérer, je retournai donc marcher seul dans les rues de Minerve. Par défi personnel, je dépassai le banc sur lequel mon amie m’avait fait sa révélation la veille et déambulai au hasard des rues. Je me retrouvai bientôt au pied de la muraille et des gardes vinrent aussitôt à ma rencontre, l’air belliqueux. L’un d’eux tira son épée et se planta à quelques pouces de moi, ses intentions étant on ne peut plus claires.
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