L'Héritage des Cathares
Je sais qui tu es. Retourne d’où tu viens, croisé, cracha-t-il.
Je levai les mains en signe de paix, mais mon geste ne lui fit
guère d’impression.
— Tu n’as rien à craindre de moi, soldat. Je me déliais les jambes, rien de plus.
— Cela ne m’empêcherait pas de t’embrocher si tu n’étais pas sous la protection de dame Pernelle. Allez, disparais.
Le lendemain matin, je tentai bien de sortir à nouveau, mais je constatai que les portes à chaque extrémité étaient verrouillées. De toute évidence, on n’avait pas apprécié mes pérégrinations de la veille. Je songeai à frapper et exiger qu’on me libère, mais je ne me faisais aucune illusion. Malgré les bons soins de Pernelle et le fait qu’en sa compagnie je semblais jouir d’une certaine liberté de mouvement, j’étais un prisonnier de guerre. Je ne doutais pas que, sans la protection de mon amie, je n’aurais pas été traité avec la même tolérance. Si j’avais conçu pour les hérétiques une certaine sympathie, eux n’éprouvaient certes pour moi que haine et désir de vengeance. Et je les comprenais.
À défaut de mieux, je résolus de retrouver la santé aussi vite que possible. Je ne pouvais rester ainsi, faible et vulnérable. Je me lançai dans les exercices qui avaient occupé une partie de mes journées depuis l’arrivée de Bertrand de Montbard à Rossal. Même sans épée, mes bras se firent très vite lourds et la tête me tourna dangereusement, mais je persévérai. Au terme de chaque séance, je m’effondrais sur mon lit, tremblant comme un oisillon. J’y trouvai cependant une énergie nouvelle et, sans retrouver leur volume d’antan, mes muscles se tonifièrent un peu.
Après quatre jours de ce régime, je me sentais comme un animal en cage, mon seul contact humain ayant été celui, bref et muet, des hommes austères et silencieux qui m’apportaient mes repas. Les marches rageuses que je faisais de long en large renforçaient mes jambes, mais ne contribuaient guère à rasséréner mon humeur. Si les hérétiques ne souhaitaient pas ma mort, comme le prouvaient les soins qu’on m’avait prodigués, pourquoi me gardaient-ils prisonnier ? Pour me traduire en justice ? Pour m’utiliser comme monnaie d’échange ?
Je fus soulagé lorsque mon amie parut enfin, le cinquième jour, portant elle-même mon repas du matin. Elle semblait lasse et ses yeux étaient creusés par des cernes presque aussi sombres que sa robe et son foulard. Elle força un sourire qui n’illumina pas son regard fatigué. Je me demandai quand elle avait dormi pour la dernière fois.
— Te voilà enfin, dis-je, un peu de reproche dans la voix.
— Pardonne-moi. J’ai beaucoup à faire. Et puis, je désirais te donner le temps de réfléchir à. la situation.
Elle posa sur le lit l’écuelle remplie de lait caillé et de pain détrempé.
— Tu as l’air de te porter beaucoup mieux. Tu as tiré parti de ces quelques journées, on dirait. Mange. Ensuite nous irons marcher.
J’engouffrai le pain, le fromage et l’oignon, autant par empressement d’avoir la discussion que j’attendais que par appétit. Puis nous sortîmes et nous retrouvâmes bientôt sur le même banc que l’autre jour.
— Alors ? m’enquis-je. Dis-moi comment tu es devenue hérétique, toi qui as vécu toute ton enfance dans l’ombre du père Prelou.
— On nous appelle cathares ou patarins, mais, entre nous, nous nous désignons simplement comme bons chrétiens ou bonshommes. Et sache que je ne suis pas hérétique, dit-elle, le visage dur.
— Innocent III ne partage pas ton opinion.
— Le pape est un abruti à l’âme impure qui a la certitude de parler au nom de Dieu. Curieusement, les opinions divines favorisent toujours ses propres intérêts financiers.
Je m’esclaffai en reconnaissant la fillette de jadis, qui n’hésitait jamais à critiquer vertement l’injustice, quelle qu’elle soit.
— Soit. Il faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître.
— Par définition, un hérétique est un déviant, un croyant qui s’est éloigné de la foi officielle et est jugé dans l’erreur par ceux qui la contrôlent.
— Et alors ?
— Le catharisme n’est pas une version fautive de la doctrine chrétienne. C’est une religion à part entière.
Je secouai la tête, impatient.
— Tudieu ! Tu me donnes la migraine à ergoter comme un
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