L'Héritage des Cathares
jour et jeûnent quarante jours par an. Ils renoncent à la chair et à ses plaisirs, font vœu d’abstinence, ne mangent ni viande ni fromage ni lait. Tout ce qui est le fruit de la copulation leur est interdit. Ils fuient la violence et la querelle. Ils ne tuent ni ne prennent les armes. Ils ne reconnaissent que la justice de Dieu et renient celle des hommes.
Il me fallut un moment pour faire le lien entre ce que je venais d’entendre et ce que je savais déjà.
— L’homme que tu as amputé, dis-je enfin. Il t’a appelée Parfaite sœur et un autre t’a demandé ta bénédiction.
— En arrivant dans ces contrées, j’étais dans un état terrible. J’ai été recueillie par des Parfaites. Elles m’ont soignée, puis elles m’ont enseigné la Vérité. Ma pauvreté, mon infirmité, les viols, tout cela prenait enfin un sens. Cependant, le salut est une décision personnelle que personne ne peut contraindre. J’ai longuement mûri ma décision et, lorsque j’ai eu la certitude qu’elle était la bonne, j’ai demandé à recevoir le consolamentum. Je suis devenue Parfaite.
— Tu es prêtresse ? Une femme prêtre ? Mordiable. Amaury avait raison.
— Oui, au risque de te scandaliser, dit-elle en se hérissant. Mais, que je sache, les âmes n’ont pas de sexe et sont toutes une étincelle de la lumière divine. Elles s’incarnent indistinctement dans des corps mâles ou femelles. Si le salut est accessible à tous, pourquoi les hommes et les femmes ne seraient-ils pas égaux dans la vie qui leur sert à le mériter ? Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas conférer aussi bien qu’un homme la paix à ses semblables ? Parmi les bons chrétiens, hommes et femmes sont égaux en tout, jouissent des mêmes droits et ont les mêmes devoirs. N’en déplaise au grand seigneur que tu es.
— Soit, dis-je en levant les mains. Ne prends pas la mouche. Comprends plutôt ma surprise.
Elle leva un sourcil en guise de consentement. Je me levai et l’invitai à me suivre. Elle passa son bras dans le mien et, ensemble, nous marchâmes lentement, au hasard.
— La cérémonie à laquelle tu t’es prêtée avec l’homme avant de l’amputer, demandai-je. C’était cela, le consolamentum ?
— Oui. C’est le seul sacrement que nous reconnaissions. Il sert à la fois de baptême et d’extrême-onction. C’est par lui qu’un croyant devient Parfait. Comme Fermin craignait de trépasser, il voulait s’assurer que ses péchés lui seraient pardon-nés. Ceux qui ne le reçoivent pas sont condamnés à s’incarner à nouveau.
J’inspirai profondément, perplexe à souhait.
— Deux dieux, des femmes prêtres, un seul sacrement, des incarnations multiples. dis-je en me grattant la tête. Tout ce que tu me dis là n’est pas très conventionnel. Et comment cela justifie-t-il que la Sainte Église fasse massacrer tous ceux qu’elle peut trouver ?
— Elle n’accepte pas que des consciences lui échappent et restent libres. Mais comment s’attendre à autre chose de l’Église de Satan ? Dans la langue d’ici, amour se dit amor. Écris-le à l’envers et tu obtiens Roma. Rome. Le contraire de l’amour. Intéressant, non ?
Je lâchai son bras. Je me sentais soudain en terrain glissant. N’allais-je pas perdre toute chance de salut à écouter de telles énormités ? Tout cela me perturbait, moi qui, ironiquement, étais bien plus hérétique que tous les cathares réunis.
— L’Église de Satan ? Tu peux bien être hérétique si le cœur t’en dit, Pernelle, mais dois-tu proférer de tels blasphèmes ?
— Et pourquoi pas ? L’Ancien Testament ne raconte-t-il pas la création du monde et de la matière par un Dieu belliqueux et vengeur - le Dieu du Mal ? rétorqua mon amie, avec ferveur. L’Église chrétienne adore Satan sans même le savoir ! Dans ses églises et ses cathédrales, elle se prostitue au Prince du Mal ! Elle bénit des mariages qui justifient la fornication et ne servent qu’à emprisonner des âmes dans la chair des nourrissons à naître ! Elle couche avec les rois qui dirigent le monde et qui rendent une justice qui n’appartient qu’au Créateur ! Elle adore Jésus et prétend qu’il a ressuscité d’entre les morts après trois jours. Balivernes ! Jésus était un prophète, venu pour nous enseigner comment nous libérer de la chair. Jamais il n’aurait accepté de s’y incarner à nouveau après
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